mardi 23 juillet 2013

Médecine hippocratique

Médecine hippocratique

Dans le corpus hippocratique, les sutures sont citées comme un moyen de
rapprochement des berges. La ligature des veines est aussi prônée par le
médecin de Cos, mais incontestablement Hippocrate préféra la cautérisation
comme méthode hémostatique et d’union des berges (14) : « Quant à celles des
opérations qui se font par incision ou par cautérisation, la célérité ou la lenteur
se recommandent également, on les emploie toutes les deux : quand l’opération
n’exige qu’une incision, on la fera avec célérité ; l’incisé devant souffrir, il faut
que ce qui fait souffrir soit présent le moins de temps possible ; résultat qui s’obtiendra
par une incision rapide. Mais s’il est nécessaire de pratiquer plusieurs
incisions, on agira lentement ; la célérité rend la douleur continue et intense,
tandis que mettre des intervalles procure quelque relâche aux patients. »

Celse
Celse, dans son Traité de la médecine, a consacré les deux derniers tomes de son
encyclopédie à la troisième partie de la thérapeutique, la médecine opératoire
ou Manu curet. Dans son septième livre, il décrit des interventions chirurgicales,
digestives, urologiques, ophtalmologiques et de chirurgie plastique. L’art
de la suture s’exprime chez Celse notamment dans la chirurgie abdominale. En
dehors du texte indien de Susruta, la description de Celse est à ce jour la première
description de suture digestive qu’il nous reste depuis l’Antiquité. Dans un texte
exceptionnel de fraîcheur et de compréhension médicale, effaçant l’idée d’une
chirurgie ineffi ciente avant les temps modernes, Celse a décrit le traitement
chirurgical des blessures abdominales (15) : « Le ventre est quelquefois atteint de
blessures pénétrantes, par lesquelles les intestins peuvent s’échapper au dehors.
Quand un pareil accident arrive, il faut examiner sur-le-champ si les intestins
sont intéressés, et s’ils conservent une coloration naturelle. J’ai déjà dit que, dans
les perforations de l’intestin grêle, il n’y a rien à faire. On peut traiter par suture

celles du gros intestin, non que ce moyen mérite une entière confi ance, mais parce
qu’il vaut mieux tenter une chance incertaine que de laisser le malade sans aucun
espoir ; et quelquefois en effet la réunion s’opère. Au reste, quel que soit l’intestin
hernié, s’il est livide, pale ou noir, et par conséquence privé de sentiment, toute
médecine est impuissante. S’il conserve au contraire une bonne coloration, il
faut agir sans retard ; car, soumis accidentellement à l’infl uence de l’air extérieur,
auquel il n’est point fait, il s’altérerait en un moment. Le blessé doit être couché
sur le dos, les cuises relevées ; et si la blessure n’est pas assez large pour qu’on
puisse commodément refouler l’intestin, on lui donne au moyen d’une incision
l’étendue convenable. Si déjà les intestins sont dans un état de sécheresse, on les
lave avec de l’eau à laquelle on ajoute même un peu d’huile. Alors un aide tient
légèrement écartées les lèvres de la plaie, soit avec les doigts, soit avec deux érignes
qui doivent saisir le péritoine ; puis le chirurgien fait rentrer d’abord les intestins
qui sont sortis les derniers, de manière à conserver l’ordre des circonvolutions.
La réduction terminée, on agite doucement le malade, afi n que chaque partie
des intestins se retrouve dans la situation première et s’y tienne. On examine
ensuite l’épiploon, et s’il offre des points noirs et gangrenés, on les emporte avec
des ciseaux ; s’il n’a souffert aucune altération, on le replace avec ménagement
sur les intestins. Recoudre isolément le péritoine ou la peau ne suffi rait pas, et
l’un et l’autre doivent être réunis par suture ; il faut même la pratiquer avec un
fi l double, pour lui donner plus de force que partout ailleurs, attendu qu’ici les
mouvements du ventre rendraient la rupture plus facile, et qu’ensuite cette partie
du corps est moins exposée que les autres aux grandes infl ammations. Chaque
main sera donc armée d’une aiguille chargée d’un fi l double, et l’on commencera
par coudre le péritoine de telle sorte que l’aiguille de la main gauche traverse le
côté droit de la plaie et celle de la main droite le côté gauche, à partir de l’origine
de la blessure, et en procédant toujours de dedans en dehors, afi n que l’extrémité
mousse des aiguilles soit seule voisine des intestins. Les deux bords de la plaie
se trouvant ainsi compris dans cette première suture, on change les aiguilles de
main ; celle de gauche passant dans la main droite, et dans la main gauche celle
de droite. On fait alors de la même manière un second point de suture, puis un
troisième et un quatrième pour fermer l’ouverture, et chaque fois on change les
aiguilles de main. On se sert après cela des mêmes aiguilles pour traverser la peau,
et on la coud comme le péritoine, en conduisant toujours les aiguilles de dedans
en dehors, sans oublier non plus de les changer de main. On applique ensuite des
agglutinatifs qu’on doit recouvrir d’une éponge ou d’une laine grasse trempée
dans du vinaigre ; et cela même est assez évident pour qu’on soit dispensé de le
repérer sans cesse. Le tout est maintenu par un bandage qui doit être médiocrement
serré. »
On trouve dans ce texte une technique de suture empreinte de modernité
qui restera longtemps inégalée voire oubliée pendant une grande partie du
Moyen-Âge. Celse décrit une suture en quatre plans : tube digestif, péritoine,
paroi et peau ; il utilise des substances adhésives et antiseptiques ainsi qu’un
pansement pour renforcer et protéger son geste chirurgical. Il donne au corps
une dimension « anthropobiologique » née d’une anatomie physique et d’une

thérapeutique mécanique. La chirurgie réparatrice de Celse ne fut pas limitée
pas au tube digestif et toutes les parties du corps furent intéressées notamment
la chirurgie plastique (15) : « Une troisième application de la chirurgie consiste
à réparer les pertes de substances ; mais comme la méthode pour l’oreille est la
même que pour les restaurations du nez et des lèvres, j’en traiterai dans un seul
article. Il est possible, en effet, de remédier aux mutilations de ces trois organes
quand elles ne sont pas trop considérables… Parler comme je l’ai fait plus haut,
du danger de la gangrène, c’est dire qu’il faut surveiller les sutures avec le plus
grand soin. En conséquence, de trois jours l’un on dirigera sur ce point de la
vapeur d’eau chaude, et l’on fera de même des applications de litharge d’argent.
En général, l’adhésion est complète au bout de sept jours ; alors il ne s’agit plus
que d’enlever les sutures, et de conduire la plaie jusqu’à parfaite cicatrisation. »
Pline
Certes, les traitements chirurgicaux préconisés par Celse sont modernes, et
audacieux, mais leur diffusion restera limitée et un demi-siècle après la parution
de l’Encyclopédie de Celse Pline a oublié ou a négligé l’apport de celui qui
fut son contemporain et il va même se méfi er de la médecine grecque (16) : « La
nature des remèdes, le grand nombre de ceux dont il sera question, comme de
ceux dont on vient de parler, nous obligent à traiter plus longuement de l’art
médical lui même, sans ignorer pourtant que personne n’a encore abordé en
latin ce sujet. »
Mais Pline va plus loin et l’on peut penser qu’il traduit un courant de pensée
qui progressivement va limiter l’essor chirurgical (17) : « Les médecins s’instruisent
à nos risques et périls, ils poursuivent leurs expériences grâce à des
morts, et c’est seulement chez le médecin que l’homicide est assuré de l’impunité
totale. Bien plus ! on transfère le blâme, on rejette la faute sur l’intempérance
du malade, et l’on va jusqu’à incriminer ceux qui ont succombé. »
On comprend que dans ce contexte l’apport sur les sutures de Pline se limite
uniquement aux moyens agglutinatifs (18) : « Sur les fractures du crâne on
applique une toile d’araignée avec de l’huile et du vinaigre ; elle ne se détache
que lorsque la blessure est guérie. Cette toile arrête aussi le sang des coupures
faites par les barbiers. On tarit le sang qui coule du cerveau en versant du sang
d’oie ou de canard, ou avec de la graisse de ces mêmes volatiles additionnée
d’huile rosat… »
Galien
Galien, dans son traité (19) Sur mes propres livres, dit avoir écrit 14 livres sur
la thérapeutique dont trois concernant la phlébotomie. Avec Galien, il n’y a
pas comme avec Pline l’Ancien une attaque systématique de la chirurgie, et
d’ailleurs celui-ci préconise l’étude de l’anatomie et la pratique de la vivisection.
Cependant, Galien ne décrit pas d’intervention chirurgicale et l’une des seules

allusions dans un livre connu qu’il nous reste de Galien concernant les sutures
et les ligatures est la suivante (20) : « Si les plaies sont étroites et sans profondeur,
les emplâtres remplissent plus aisément et plus vite leur but ; mais si la
blessure récente pénètre profondément, c’est à l’aide de sutures et d’aiguilles
que nous avons l’habitude de réunir les bords. »
Albucasis, dans son traité sur la chirurgie, a cité largement Galien pour
les sutures digestives, malheureusement cet auteur ne précise l’origine de ses
sources. Cependant, à la lecture de ce texte, il est probable que Galien a écrit un
livre sur les techniques chirurgicales, livre actuellement disparu.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire