lundi 29 juillet 2013

La physiologie du bas appareil urinaire de l’homme

La physiologie du bas appareil urinaire de l’homme
 L. Le Normand, J.-M. Buzelin


2. Physiologie de la continence
et de la miction
La vessie doit contenir sans faiblesse et expulser
sans eff ort les urines. Etre continent sans etre dysurique
est le resultat dune evolution en sens inverse
des pressions dans la vessie et dans luretre
pendant les 2 phases : le remplissage et la miction
(fi g. 5).
La fonction vesico-sphincterienne est soumise a
un controle neurologique elabore a deux niveaux :
un controle automatique, refl exe, qui regle lalternance
des phases de remplissage et de miction
ainsi que la coordination vesico-sphincterienne ;
un controle cerebral, volontaire, qui permet
dordonner ou de refuser le refl exe mictionnel.

2.1. La phase de remplissage
La vessie, en se remplissant, setale mollement
dans le petit bassin. La base vesicale est horizontale
; le col vesical est ferme et hermetique meme
lors des eff orts de toux. Le gradient de pression
uretro-vesical, largement positif, suffi t a maintenir
la continence (fi g. 5).

2.1.1. La continence urinaire au repos
La pression vesicale de remplissage reste basse,
ne depassant pas 15 cm deau pour un volume
de 300 ml. Cette capacite de stocker un grand
volume a basse pression, appelee compliance,
est indispensable a la continence et surtout a
la protection du haut appareil urinaire. Elle est
determinee, presque exclusivement, par la nature
des materiaux composant la paroi vesicale,
cest-a-dire un tissu biologique heterogene fait
de fi bres musculaires, conjonctives et elastiques.
Comme tout materiau, ce tissu oppose une resistance
a letirement comparable a celui des polymeres
vesicoelastiques, qui depend de la vitesse
de letirement, a savoir, pour la vessie, du debit
de remplissage (fi g. 6).


 
Fig. 5 - Modifi cations morphologiques et évolution des paramètres
urodynamiques (EMG du sphincter strié urétral,
pression urétrale maximum [PU] et pression vésicale [PV])
pendant les phases de remplissage, prémictionnelle et mictionnelle
(d’après Buzelin) (1).

Les forces de retenue, cest-a-dire la resistance
aux fuites, comprennent deux composantes :
La pression uretrale, dont la valeur maximum
(60 a 80 cm deau), augmente au cours du remplissage
vesical et seff ondre en cours de miction.
Elle est determinee essentiellement par
le tonus des fi bres musculaires lisses et striees,
dans des proportions sensiblement egales.
La contribution des plexus vasculaires sousmuqueux
est accessoire, mais, par leur mollesse
, ils jouent un role non negligeable de
joint detancheite qui optimise la compression
exercee par les sphincters (17).
La resistance uretrale correspond aux forces passives
dependantes de la geometrie du col et de
luretre. Faible chez la femme, elle nest pas negligeable
chez lhomme dont luretre est long et
entoure de tissus denses comme la prostate (18) ;
elle augmente avec lage et le developpement de la
prostate, expliquant la grande diff erence dans la
prevalence de lincontinence entre les deux sexes.
La phase de remplissage est sous le controle des
systemes sympathique et somatique qui contribuent
a relacher le detrusor et a contracter lappareil
sphincterien (fi g. 7).
La nature et la distribution des recepteurs adrenergiques
suggerent le role joue par le systeme
sympathique pendant la phase de remplissage :
relaxation du detrusor (recepteurs s) et surtout
contraction tonique des fi bres musculaires lis-
Fig. 6 - Relation tension/longueur d’un matériau visco-élastique,
symbolisé par un élément de Maxwell, associant un
amortisseur (composante visqueuse) et un ressort (composante
élastique). Au cours d’un étirement lent (a), la déformation,
qui porte prioritairement sur la composante visqueuse
n’entraîne qu’une faible augmentation de la tension; ce tracé
s’apparente à celui d’une cystomanométrie avec un remplissage
à faible débit (< 30 ml/min). Au cours d’un étirement
rapide (b), la déformation, qui porte prioritairement sur la
composante élastique, entraîne une augmentation rapide de la
tension, suivie d’une décroissante exponentielle quand cesse
l’étirement (phénomène de «stress-relaxation») ; ce tracé est
celui qu’on obtiendrait lors d’un remplissage vésical à débit
très rapide (>30 ml/s) (16).

ses du col et de luretre (recepteurs α). Il sagit
principalement dune activite autonome, donc
particulierement sensible aux agents pharmacologiques
exogenes. La stimulation ou la section
des nerfs hypogastriques, issus du centre
sympathique dorso-lombaire, reproduit les
memes eff ets que la stimulation ou le blocage
adrenergique (19). Mais, dans les conditions
physiologiques, le centre medullaire ninterviendrait
que dans les phenomenes dadaptation
au remplissage (abaissement de la pression
vesicale et surtout augmentation de la pression
uretrale) (20, 21).
Le point de depart de ce refl exe sympathique
est la stimulation des recepteurs de tension du

Fig. 7 - Contrôle réfl exe du tonus sphinctérien de l’urètre pendant
la phase de remplissage : réfl exe sympathique (vert) et
somatique (orange).

detrusor ; les aff erents gagnent la moelle dorsolombaire
par les nerfs pelviens, tandis que les efferents
rejoignent la vessie et luretre par les nerfs
hypogastriques. Il est vraisemblablement place
sous infl uence inhibitrice supra-medullaire.
De nombreux arguments prouvent lexistence
dune activite tonique du sphincter strie, et
plus precisement, cellede sa portion para-uretrale
: la forte proportion de cellules de type I,
la localisation du pic de pression uretral et la
possibilite de lecreter de moitie par curarisation
ou neurotomie pudendale (22). Il depend
dun refl exe medullaire organise dans le centre
somatique sacre et emprunte les nerfs pudendal
pour aff erence et eff erence.

2.1.2. La continence urinaire à l’effort
Certains eff orts, comme la toux, le rire, la marche,
le passage a lorthostatisme, elevent brutalement
la pression abdominale et la pression intravesicale
a 100 cm deau ou plus, risquant de deborder
les forces de retenue decrites ci-dessus. Les mecanismes
de la continence a leff ort, abondamment
etudies chez la femme, reposent en grande partie
sur la constatation, lors de ces eff orts, dun pic
de pression dans luretre qui, dans le meilleur des

cas, est synchrone au pic de pression dans la vessie
et de meme amplitude (fi g. 5).
Lexplication de ce phenomene a donne lieu a diverses
hypotheses invoquant, chez la femme, des
mecanismes passifs (transmission des pressions
abdominales a luretre, ecrasement du col vesical
et de luretre sur un hamac fi bro-musculaire sous
cervical) ou actifs . Seuls ces derniers peuvent
etre retenus chez lhomme. Ils correspondent a
une contraction refl exe de la musculature perineosphincterienne
en reponse a une soudaine augmentation
de la pression abdominale.
Ce refl exe de continence ( guarding refl ex )
est un refl exe somatique passant par le noyau
dOnuf, dont la latence est denviron 10 ms. Il
implique le sphincter strie de luretre et, surtout,
la musculature perineale.

2.2. La phase mictionnelle
La fi gure 5 montre quen se contractant, la vessie
se transforme en une sphere qui se retracte
concentriquement ; sa base se transforme en entonnoir
; le col vesical souvre puis la totalite de
luretre au passage du fl ux urinaire. La pression
vesicale seleve a une valeur normalement comprise
entre 30 et 60 cm deau ; la pression uretrale
seff ondre en meme temps ou quelques secondes
avant la contraction vesicale.

2.2.1. Le réfl exe mictionnel
Le refl exe mictionnel correspond a lintervention
du systeme parasympathique dont les eff ets sont
doubles :
dune part, la mise en phase de toutes les cellules
musculaires lisses du detrusor aboutissant
a une contraction puissante et organisee, qualifi
ee de phasique ;
dautre part linhibition refl exe des systemes
antagonistes, sympathique et somatique, avec
pour consequence leff ondrement du tonus
sphincterien.
Chez ladulte, ce refl exe mictionnel a pour point
de depart une stimulation des recepteurs de tension
du detrusor. Il sagit dun refl exe suprasegmentaire
organise dans le tronc cerebral (fi g. 8)
(23). Dautres refl exes facilitateurs, dont lorigine
est une stimulation des recepteurs cutanes ou muqueux,
sont organises dans les centres sacres. Ces
refl exes exteroceptifs existent chez le nouveau-ne ;
leur persistance ou leur reutilisation caracterise
les etats dhyperrefl ectivite (24). Le contact de
lurine avec la muqueuse uretrale pourrait etre le
point de depart dun de ces refl exes.
Le refl exe mictionnel illustre le controle reciproque
des systemes parasympathique dune part
(qui assure la contraction vesicale), sympathique
et somatique dautre part (qui assurent principalement
la contraction sphincterienne). Ainsi
la contraction vesicale induit une relaxation
sphincterienne, sans laquelle il existe une dyssynergie
vesico-sphincterienne. Inversement, la
contraction du sphincter strie inhibe la contraction
vesicale et le besoin duriner, sans laquelle il
existe une imperiosite.
Les hypertonies sphincteriennes, lisse et/ou
striee peuvent etre responsables dune acontractilite
vesicale refl exe (25). Cette coordination
refl exe est organisee :
au niveau des centres medullaires et dans les
plexus ganglionnaires peripheriques pour la
coordination parasympathique/sympathique ;
au niveau des centres du tronc cerebral pour la
coordination parasympathique/somatique.

2.2.2. Le contrôle cérébral
du réfl exe mictionnel
La faculte de controler volontairement la miction
nest pas un privilege de letre humain. Lanimal
sauvage utilise sa miction pour marquer son territoire,
attirer ses conquetes amoureuses, refouler
ses ennemis ou annoncer ses attaques (26) ;
domestique, il acquiert une proprete sociale ,
plus rapidement que le nouveau-ne.

2.2.2.1. Le besoin d’uriner
La perception dune information specifi que sur
letat de repletion de la vessie est un prealable a
toute continence volontaire. Chez le patient neurologique,
la perte du besoin duriner est la principale
cause dincontinence, et la perception dun
equivalent est une condition pour retrouver la
continence. Le point de depart du besoin duri


 
Fig. 8 - Réfl exes mictionnels : réfl exe suprasegmentaire à partir
de la stimulation des récepteurs de tension du détrusor, et
réfl exe segmentaire, à partir de la stimulation des récepteurs
cutanéo-muqueux.



ner est une stimulation des recepteurs de tension
du detrusor. Linformation projetee sur le cortex
parietal, vraisemblablement par lintermediaire de
la voie extralemniscale nest quune forme particuliere
de sensibilite, percue comme une tension
douloureuse de lepigastre ; elle doit etre reconnue,
interpretee, integree a dautres informations pour
devenir un besoin duriner , cest-a-dire une
sensation comparable a la faim ou a la soif. Cette
transformation dune information brute en une
impression subtile est donc un processus mental
qui fait intervenir lensemble de la corticalite.

2.2.2.2. La retenue volontaire
Le premier aspect du controle volontaire est la
possibilite de retenir un besoin par la contraction
du sphincter strie et des muscles perineaux (fi g. 5).
Elle permet de gagner quelques centimetres
deau et deviter la fuite. Mais cette situation est
precaire, car la musculature striee est fatigable
et sa contraction ne peut etre soutenue plus de
quelques secondes. La contraction volontaire du
sphincter strie induit par voie refl exe une inhibition
du detrusor, la suppression de ce refl exe
inhibiteur caracterise limperiosite mictionnelle.

2.2.2.3. Le déclenchement ou l’inhibition
volontaires du réfl exe mictionnel
Le controle cerebral permet de declencher ou
dinhiber globalement le refl exe mictionnel organise
dans les centres du tronc cerebral, grace aux
connexions les reliant aux centres corticaux et
sous-corticaux. Cest ainsi quune miction refl exe
peut etre declenchee :
par la volonte : cest la miction par raison, permettant
duriner sur commande, meme lorsque
la vessie nest pas pleine. Cette faculte fait de la
vessie le viscere le plus corticalise et donc le
plus psychologiquement vulnerable (pollakiuries
et retentions psychogenes). Elle implique
lintervention du centre mictionnel localise a la
face interne du lobe frontal ;
lors des paroxysmes emotionnels (fou-rire,
orgasme, frayeur, colere) : cest lurination,
miction active et incontrolable qui fait intervenir
le systeme limbique, cest-a-dire les
structures souscorticales enroulees autour du
diencephale qui jouent un role important dans
les comportements instinctifs et emotionnels ;
lors des stimuli sensoriels : ce sont les besoins
declenches par la vue ou laudition de leau
coulante, lexposition au froid. Ces phenomenes
dinstabilite sensorielle trouvent sans
doute leur substratum anatomique dans les
connexions du lobe frontal avec les aires sensitives
et sensorielles du lobe parietal.
Lalteration de ce controle cerebral du refl exe mictionnel
represente lun des principaux facteurs de
lincontinence des personnes agees, allant de pair
avec lalteration des fonctions superieures (27),
et des lesions vasculaires de type ischemique des
lobes frontaux, retrouvees au Pet-Scan (28). La
polyurie nocturne avec inversion du rythme nyctemeral
est un facteur aggravant dinsomnie et
dincontinence.

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