mercredi 31 juillet 2013

Etude d’une population tunisienne d’enfants en difficultés scolaires

Etude d’une population tunisienne 
d’enfants en difficultés scolaires


Avec la généralisation de la scolarité, l’amélioration du niveau de vie, la diminution du nombre d’enfants par famille et les exigences du marché de l’emploi, les difficultés scolaires constituent de plus en plus un souci pour les parents Tunisiens. On divise ces difficultés en deux groupes : les troubles spécifiques des apprentissages (TSA) et les troubles nonspécifiques des apprentissages (TNSA). Les TSA sont des troubles développementaux et durables des apprentissages qui surviennent chez des enfants intelligents, normalement scolarisés, indemnes de pathologie médicale authentifiée (1). Ils concernent 2 à 10% de la population scolaire, avec une moyenne de 5 % (2-4). En revanche les TNSA sont des troubles d’apprentissage acquis qui pourraient être secondaire à un retard mental mais aussi à une déficience sensorielle, une affection neurologique acquise, une carence psychoaffective ou socioculturelle sévère.
Selon le rapport établi par la direction de la médecine scolaire et universitaire pour l'année 2002 en Tunisie, les difficultés scolaires affectent 8 à 10 % de la population infantile. En revanche, l’étiologie de ces difficultés n’a pas été précisée.Notre travail rentre dans le cadre d’un projet de recherche fédéré qui s’est déroulé sur quatre ans, de 2005 à 2009. Il avait pour objectifs de déterminer la fréquence, les étiologies et la prise en charge des difficultés scolaires dans la région de Sfax par le biais des dispositifs médico-psycho-pédagogiques actuellement disponibles dans notre pays.

PATIENTS ET METHODES

1. Type d’étude et objectifs
En Tunisie, une étude descriptive transversale des difficultés scolaires a commencé dans le cadre d'un programme de recherche fédéré en santé lancé sur 4 ans à partir de 2005 par le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche scientifique et de la technologie intitulé «Prise en charge des troubles spécifiques des apprentissages et diagnostic différentiel avec l’handicap mental (échec scolaire) ».
Ce projet a couvert trois gouvernorats tunisiens (un gouvernorat du Nord [Tunis], un gouvernorat du centre [Monastir] et un gouvernorat du Sud [Sfax]). Dans le gouvernorat de Sfax, cette étude a été coordonnée par notre équipe appartenant au service de neurologie pédiatrique et le service de pédopsychiatrie du centre hospitalo-universitaire Hédi Chaker.Ce travail couvre une partie de ce projet et s’intéresse à l’étude des étiologies des difficultés scolaires dans une cohorte d’enfants en difficultés scolaires dans la région de Sfax.

2. Population d’étude
Un échantillonnage par choix raisonné a été effectué en prenant en considération deux facteurs : le milieu d’origine et la classe d’étude. Ainsi 16 écoles appartenant de façon égale aux milieux rural et urbain ont été choisies au hasard. Dans chaque école deux classes ont été tirées au sort correspondant à la première et troisième année de base.
C’est ainsi que 687 élèves ont été inclus dans cette étude. Ces élèves ont bénéficié d’un dépistage systématique des difficultés scolaires grâce à une fiche de recueil des données sociodémographique, médicale et d’évaluation des apprentissages remplie par les médecins scolaires et les enseignants. Ainsi, 304 élèves ont été identifiés comme ayant des difficultés scolaires. Tous ces élèves ont été convoqués par l’intermédiaire des médecins scolaires et des directeurs des écoles à la consultation de neurologie pédiatrique et de pédopsychiatrie de Sfax. Des sorties aux écoles ont été effectuées pour examiner les enfants qui n’ont pas répondu à la convocation. Tous les parents ont signé un formulaire de consentement autorisant que leur enfant entre dans l’effectif de l’enquête.

3. La démarche diagnostique
La démarche diagnostique comprenait un examen clinique neurologique standard, un bilan orthophonique et une évaluation du quotient intellectuel global (QI). L’examen clinique neurologique standard a permis l’évaluation des fonctions motrice, sensitive, de la coordination des mouvements et la recherche de mouvements anormaux et des signes neurologiques mineurs à type de syncinésies d'imitation, les troubles de la coordination des mouvements de la bouche et de la langue, l’agnosie digitale et l’indiscrimination droite gauche. Le bilan orthophonique réalisé par un orthophoniste a permis d’évaluer l'orientation temporo-spatiale, la latéralité, le langage oral, le langage écrit avec la lecture et la dictée de logatomes et des phrases et le calcul par la lecture et la comparaison des nombres et des opérations de l'addition de soustraction. L’évaluation du quotient intellectuel global (QI) grâce à trois items de l'EDEI-A arabisé et standardisé en Tunisie (5). Un item pour l'évaluation des fonctions verbales : la conceptualisation et deux items pour l'évaluation des fonctions non-verbales et exécutives : la classification et l'analyse catégorielle.
Le retard mental est caractérisé par un QI inférieur à 70 et l’intelligence limite par un QI entre 70 et 80. Les examens complémentaires ont été demandé en cas de signe d’appel : tel qu’un examen ophtalmologique à la recherche d'une baisse de l'acuité visuelle réalisé chez 20 enfants ou en cas de nystagmus, un électroencéphalogramme (EEG) standard en cas de suspicion d'une épilepsie absence chez 9 enfants et une imagerie par résonance magnétique (IRM) chez un enfant atteint de retard mental associé à un syndrome polymalformatif. La synthèse de ces différents examens a permis de vérifier la présence d’une difficulté scolaire et de déterminer si elle secondaire à TSA ou à TNSA (figure 1). Des réunions entre les deux équipes de recherche de neurologie pédiatrique et de pédopsychiatrie ont été organisées pour discuter les dossiers posant un doute diagnostique.

4. Etude statistique
Toutes les données cliniques, paracliniques ont été relevées sur une fiche informatisée. Les données ont été saisies et analysées par la suite par le logiciel Excel 2003. Nous avons effectué une étude statistique de type descriptive et on a calculé les fréquences relatives pour les variables quantitatives.

Figure 1 : Bilan proposé pour les enfants en difficulté scolaire


Figure 2 : Synthèse des données pour les enfants en difficulté scolaire



RESULTATS

Parmi les 304 élèves évalués par leurs enseignants comme étant en difficultés scolaires, seuls 254 d’entre eux ont répondu à la convocation. Ces enfants ont tous eu un interrogatoire, un examen clinique neurologique et somatique détaillé. Les autres évaluations proposées étaient : un entretien pédopsychiatrique (N=213), une évaluation du quotient intellectuel (QI) (N=216) et un bilan orthophonique (N=228). L’examen neurologique a mis en évidence une hyperactivité avec déficit l’attention chez 3 enfants, un syndrome poly malformatif et un retard mental chez 1 enfant avec une IRM cérébrale normale et une migraine chez 3 enfants. Des signes neurologiques mineurs ont été retrouvés chez 92 enfants (44% des enfants en difficultés scolaires). L’EEG de veille réalisé chez 9 enfants avec suspicion d’épilepsie absence étaient normaux. L’étiologie des difficultés scolaires a été déterminée pour 209 enfants qui ont eu toutes les explorations (examen clinique, évaluation du QI et bilan orthophonique) (figure 2, tableau1).

Tableau 1 : Etiologies des difficultés scolaires



La synthèse des résultats a conclu à l’absence de difficultés scolaires chez 107 élèves qui avaient tous un examen neurologique, un QI et un bilan orthophonique normaux. Le diagnostic de difficultés scolaires était retenu chez 102 enfants restants. Parmi ces 102 élèves en difficultés scolaires, le diagnostic de TSA probable était évoqué chez 49 élèves devant la normalité du QI, de l'examen neurologique et les troubles constatés au cours du bilan orthophonique. Ainsi, on a retenu que 39 % présentaient un trouble du langage écrit, 22% un trouble du calcul et 39 % un trouble associé de la lecture et du calcul. En se référant à notre échantillon étudié, la fréquence d’enfants avec TSA probable serait de 10,3 % dans la région de Sfax. Le trouble du langage écrit toucherait 5,9 % des enfants, le trouble du calcul serait de 2,4 % et celle de troubles associés de la lecture et du calcul de 2%. Le diagnostic de troubles des apprentissages non spécifiques (TANS) était retenu chez 53 enfants. Ces TANS étaient secondaires à une intelligence limite chez 24 enfants. Un retard mental a été retrouvé chez 10 enfants. La troisième étiologie était les carences socioéducatives retrouvées chez 11 enfants. Ces facteurs socioéconomiques étaient à type d’un trajet vers l’école long supérieur à deux kilomètre sans disponibilité de moyens de transport entraînant une fatigue et une perte de temps chez 3 enfants. La promiscuité à la maison et l'absence d'encadrement par les parents était la cause de difficultés scolaires chez six enfants. Un absentéisme répété a été retrouvé chez un enfant.
Enfin un déficit sensoriel était mis en évidence chez 5 enfants. Un enfant avait une surdité secondaire à des otites purulentes récidivantes suivie au service d'ORL et une baisse de l'acuité visuelle non corrigée a été objectivée chez 4 enfants. Une prise en charge orthophonique a pu être proposée chez 8 enfants ayant un trouble du langage écrit qui pouvaient se rendre aux services de neurologie pédiatrique et de pédopsychiatrie du CHU Hédi Chaker de Sfax. Seize enfants ont bénéficié d’une prise en charge psychopédagogique à l’association Avicenne.

DISCUSSION

Notre étude a permis de poser un diagnostic précis des difficultés scolaires grâce à une évaluation faite par une équipe pluridisciplinaire. A notre connaissance la seule étude publiée en Tunisie auprès d’écoliers en difficultés scolaires a entrepris une approche psychopathologiques (6). Notre étude entreprend une approche neurologique dans une cohorte d’enfant représentative de la région de Sfax en Tunisie évaluée et prise en charge par les outils disponibles actuellement.
L’échantillonnage a reposé sur des fiches remplies par les enseignants et les médecins scolaires. En effet, les enseignants avec l’aide des médecins scolaires peuvent juger des capacités cognitives acquise et déficitaire de l’enfant dans les différents apprentissages élémentaires, comme la lecture et le calcul et jouer ainsi un rôle important dans le repérage des difficultés scolaires et des TSA. Le rôle du médecin neurologue ne devrait pas se limiter pas à faire le diagnostic de difficultés scolaires secondaires aux maladies neurologiques. Dans notre étude,l’examen neurologique standard était pathologique uniquement chez 4 enfants. Les signes neurologiques mineurs devraient aussi être recherchés. Ces signes se traduisent par une maladresse et une incapacité à exécuter des gestes fins, décelable seulement quand on examine la motricité fine par des épreuves spécifique telle que l’opposition des doigts et les praxies bucco-faciales. L'association de ces troubles d'ordre moteur aux troubles de l’apprentissage est fréquente variant entre 44 % et 80% des cas dans la littérature (7, 8) et 44 % dans notre étude. Ces signes de signification mal élucidés sont l’un des supports de la théorie cérébelleuse qui tentait d’expliquer les déficits neurocognitifs sous-jacents aux troubles d’apprentissage (9, 10).
Le neurologue aura un rôle essentiel pour apprécier la nature de la plainte, il doit ainsi différencier les difficultés globales de ceux qui concernant uniquement le langage oral, écrit ou le calcul. Il doit aussi apprécier le comportement de l’enfant en recherchant surtout une hyperactivité associée ou non à un déficit de l’attention, un trouble de la communication. Il doit aussi évaluer l’environnement familial pour voir si les difficultés de l’enfant pourraient être expliquées par une carence socio-éducative. Par la suite, le neurologue devrait focaliser son examen sur les fonctions cognitives de l’enfant et réaliser une évaluation des fonctions verbales, non verbales et des apprentissages. Cette démarche est essentiel pour orienter l’enfant vers les professionnels appropriés tel que les pédopsychiatres, les orthophonistes, les psychologues pour compléter le diagnostic et entreprendre une prise en charge adaptée.
Selon notre étude les difficultés scolaires toucheraient 21,3 % des enfants scolarisées et constituent ainsi un problème de santé publique. Le diagnostic de TSA probable était retenu devant tous les élèves avec un examen neurologique, un QI normal et ayant présenté des troubles du langage écrit et/ou du calcul au bilan orthophonique. Le manque de tests standardisés ne nous a pas permis de différencier les retards des apprentissages en lecture ou en calcul des véritables TSA. En effet le DSMIV-R(American Psychiatric Association) précise que pour retenir le diagnostic de TSA, il faut que les performances à des tests standardisés (en lecture, calcul ou expression écrite), passés de façon individuelle, soient au-dessous de plus de deux écartstypes du niveau attendu par rapport à l’âge, aux autres performances scolaires et à l’intelligence de l’enfant. En se référant à l’échantillon étudié, la fréquence des TSA probable serait de 10,3% et serait à l’origine de 48 % des difficultés scolaires. Cette fréquence est comparable aux données de la littérature qui estiment que les TSA touchent 2-10% des enfants (1-2-3). Cependant le fait de prendre en considération le QI global et non pas le quotient intellectuel verbal (QIV) et de performance (QIP) ne permet pas de déceler les discordances importantes entre les scores de QIP et de QIV. Ainsi des enfants diagnostiqués comme ayant une intelligence limite pourrait avoir en réalité un TSA.
Les troubles des apprentissages non spécifiques (TANS) étaient l'étiologie la plus fréquente des difficultés scolaires (52%). Le retard mental léger et l’intelligence limite sont le principal diagnostic différentiel des TSA. En cas de retard mental léger, le développement peut être normal au cours des premières années de vie, et elles se manifestent plus tard par un retard de langage, un trouble du comportement ou un échec scolaire.
L'intelligence limite est diagnostiquée essentiellement en primaire. Le diagnostic de retard mental devrait être suspecté quand les difficultés scolaires s’étendent à plusieurs matières scolaires et portent plus sur la compréhension du texte lu et sur les acquisitions en mathématiques que sur le principe de déchiffrement de lecture et de l'orthographe (11-13). Dans notre étude, 24 enfants avaient une intelligence limite et 10 enfants présentaient un retard mental. Les carences socio-éducatives peuvent aussi entraîner des difficultés scolaires et doivent être recherchées de façon systématique par l’interrogatoire (14). Ces causes étaient retrouvées chez 11 enfants. Enfin les TANS peuvent être secondaires aussi à des déficits sensoriels sévères.
Ainsi, toute difficulté scolaire nécessite l'appréciation clinique de l'acuité auditive et visuelle par le médecin scolaire puis la mesure de l'acuité visuelle ou auditive par un spécialiste en cas de doute (11,12). Dans notre étude un seul enfant était porteur d'une surdité secondaire à des otites purulentes récidivantes suivie au service d'ORL et une baisse de l'acuité visuelle a été objectivée chez quatre enfants. L’étude a mis en évidence que les enfants en difficultés ne bénéficiaient d’aucune prise en charge. Malheureusement du fait du manque de professionnels (orthophoniste, psychologue, psychopédagogue), la prise en charge n’a pu être proposée que pour un nombre réduit d’enfant qui pouvaient se rendre au service de neurologie pédiatrique et au service de pédopsychiatrie. Cependant, la proposition d’une prise en charge serait très importante pour permettre à ces enfants de faire face à leurs difficultés dans les domaines déficitaires et de poursuivre leurs apprentissages dans les domaines préservés. Pour lutter contre ces insuffisances de soins, il paraît important de proposer une réponse de première intention à l’école (14), une prise en charge plus spécialisée devrait être proposée pour les enfants avec difficultés sévères en lien avec le neurologue ou le pédopsychiatre.

CONCLUSION

Notre étude avait pour objectif de décrire et d’évaluer la prise en charge des troubles d’apprentissage scolaire par une équipe pluridisciplinaire en utilisant les outils de diagnostic et de prise en charge disponibles actuellement en Tunisie. Elle a révélé la fréquence des difficultés scolaires repérées par les enseignants et a permis de faire la part entre les troubles spécifiques des apprentissages et les troubles non spécifiques des apprentissages secondaires à une pathologie neurologique ou à des conditions socio-économiques précaires. En revanche, le profil et la sévérité des troubles des apprentissages spécifiques n’a pu être étudiée faute de tests étalonnés en Tunisie. Cette étude a mis aussi en exergue le manque de moyens de dépistage, de diagnostic et de prise en charge en Tunisie. Du fait de cette réalité Tunisienne, le dépistage de ces difficultés par les enseignants et l'harmonisation de ces difficultés avec la pédagogie au sein des écoles devrait commencer en attendant la création d’unités de consultation spécialisées dans le diagnostic et la prise en charge de troubles spécifiques des apprentissages.La reconnaissance de la place des troubles d’apprentissage dans le champ de l’handicap permettrait de formaliser ces aménagements et ces adaptations pédagogiques. La diffusion la plus large possible des connaissances acquises sur les troubles des apprentissages auprès de tous les professionnels, médicaux, paramédicaux et des enseignants est un défi à relever.

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