lundi 29 juillet 2013

La physiologie du bas appareil urinaire de l’homme
 L. Le Normand, J.-M. Buzelin

1. Les bases de la physiologie
vésico-sphinctérienne

1.1. La myo-architecture
vésico-sphinctérienne
Lenvironnement anatomique, principalement les
formations musculo-ligamentaires, qui suspendent
et soutiennent les visceres pelviens, jouent
un role fonctionnel beaucoup plus accessoire chez
lhomme que chez la femme. Le perinee masculin
est une structure solide, verrouillee par le bloc
prostatique, et donc a labri des prolapsus pelviens
et de leurs consequences fonctionnelles. La
myo-architecture de la vessie et de luretre, cesta-
dire la disposition et lorientation des faisceaux
musculaires lisses et stries propres a ces deux organes,
nest pas le fait du hasard et doit bien repondre
a une fi nalite fonctionnelle si tant est
que lobsession dune telle fi nalite nait pas inspire
leur description (fi g. 1). Les theories  mecanicistes
, a la mode il y a une quarantaine dannees,
lui attribuaient une place preponderante dans les
mecanismes de continence et de miction ; elles
reposaient sur le concept dune innervation exclusivement
cholinergique de toutes les fi bres musculaires
lisses vesico-cervico-uretrales. Ce concept
est revolu, depuis quon a decouvert la complexite
du systeme nerveux autonome et de sa neuromediation
pharmacologique. Le schema anatomique
devrait y gagner en simplicite.

1.1.1. La vessie
La vessie, faite exclusivement de fi bres musculaires
lisses, comporte deux portions :
 Le dome vesical ou  detrusor , souple, mobile,
expansif, est la partie reservoir chargee du
stockage et de lexpulsion des urines. Les fi bres
musculaires y sont classiquement disposees en
trois couches : deux longitudinales (interne et
externe), et une circulaire (moyenne) (2). Cette
apparence nest quun trompe-loeil : la meme
fi bre peut participer a la constitution de chacune
de ces couches pour realiser fi nalement une
structure plexiforme bien adaptee a la fonction
expulsive du detrusor.
 La base vesicale, fi xe et compacte du fait de
labondance de la composante conjonctive, est
la partie ou souvrent les ureteres et luretre. Au
repos, elle a la forme dun disque horizontal
plus etendu en arriere quen avant du col. Les
fi bres musculaires circulaires disposees en anneaux
concentriques en forment la charpente.

1.1.2. L’urètre
Le col et luretre posterieur comprennent des fi -
bres musculaires lisses et striees qui constituent le
dispositif sphincterien de la vessie.
 Les fi bres musculaires lisses sont classiquement
disposees en deux couches : une couche interne
de fi bres longitudinales, dont la fonction serait
douvrir le col et de raccourcir luretre pendant
la miction, et une couche externe de fi bres circulaires
ou obliques dont la fonction est docclure
la lumiere cervico-uretrale pour preserver
la continence urinaire et lejaculation. Considerees
comme un authentique sphincter lisse
, autonome, dans les descriptions des anatomistes
allemands du debut du xxe siecle, elles
furent ensuite decrites comme le prolongement
des fi bres detrusoriennes, organisees en frondes
opposees cravatant obliquement le col (3).
Chez lhomme, la prostate renferme un grand
nombre de fi bres musculaires lisses qui representent
jusqua 50 % du poids de lorgane ;
sans etre organisees en une structure sphincterienne,
elles participent, par leur tonus, a locclusion
de luretre.
 Les fi bres musculaires striees sont formees de
deux composantes, diff erentes par leur origine,
leur structure et peut-etre aussi leur innervation
et leur fonction (4) :
 Lune para-uretrale, au contact et dans la paroi
meme de luretre ; la prostate, au cours de son
developpement pubertaire, absorbe les fi bres
les plus hautes et refoule les autres vers le bas,
ou elles forment autour de luretre membraneux
un manchon, tandis que quelques fi bres
setalent sur les faces anterieures et laterales de
lapex prostatique. Cette portion est faite de fi -
bres a contractions lentes (type 1), petites, depourvues
de fuseaux et de cloisons septales (5),
qui maintiennent une activite tonique.
 Lautre peri-uretrale, appartenant aux muscles
du plancher pelvien. Cette portion est faite de
fi bres a contractions rapides (type 2) capables
de produire une compression rapide et breve,
volontaire ou refl exe de luretre. Sa contraction
volontaire permet aux sujets prostatectomises
et incontinents dinterrompre leur miction ou
de retenir un besoin.

Fig. 1 - Description classique (et schématique) de la myoarchitecture
vésico-sphinctérienne. Les fi bres musculaires
lisses du détrusor sont disposées en 3 couches : une couche
longitudinale interne, prolongée dans l’urètre (A), une couche
circulaire moyenne, formant la charpente de la base vésicale
(B), une couche longitudinale externe disposée en deux faisceaux
(antérieur et postérieur) formant au niveau du col et de
l’urètre des « frondes opposées » (C). Le trigone superfi ciel
est formé par l’épanouissement des fi bres musculaires longitudinales
de l’uretère (D). La portion para-urétrale du sphincter
strié double extérieurement les fi bres musculaires lisses
de l’urètre. Elle entoure complètement l’urètre membraneux
d’un manchon plus épais en avant qu’en arrière et s’étale sur
les faces antérieures et latérales de la prostate (E) (d’après J.M.
Buzelin et coll.) (1).

1.2. Voies et centres nerveux
Lexperimentation animale, entreprise chez le
chat, il y a pres dun siecle (6), et lobservation
clinique, notamment de lhomme spinal, ont permis
de localiser les centres et les voies impliques
dans le fonctionnement vesico-sphincterien. Les
principaux centres sont indiques sur la fi gure 2,
les voies peripheriques sur la fi gure 3.

1.2.1. L’innervation somatique
Elle concerne le sphincter strie de luretre, les
muscles du diaphragme pelvien et du perinee. Le
centre medullaire est dans le noyau dOnuf, a la
base de la corne anterieure de S2 a S4, directement
relie au centre frontal (aire somato-motrice,
dans le gyrus precentral), par la voie pyramidale,
en particulier son faisceau cortico-spinal lateral
(ou faisceau pyramidal croise).
Les neurones traversent le plexus pudendal (ou
honteux) et forment le contingent moteur du
nerf pudendal (ou honteux interne). Ce dernier
contourne lepine sciatique puis longe la paroi
laterale de la fosse ischio-rectale, dans un

Fig. 2 - Les centres somatiques (en violet), sympathiques (en
vert), et parasympathiques (en rouge), intervenant dans la
physiologie vésico-sphinctérienne. (ہ noter que les centres
supra-médullaires, bien qu’à prédominance facilitateurs, ne
sont pas exclusivement parasympathiques, mais relèvent d’une
neuromédiation complexe, adrénergique, cholinergique, non
adrénergique-non cholinergique (NANC)).

Fig. 3 - Voies motrices périphériques (d’après Buzelin et coll.)
Dedoublement de laponevrose de lobturateur interne,
le canal dAlcock, au contact du prolongement
falciforme du ligament sacro-tuberal.

1.2.2. L’innervation végétative
Elle concerne toute la musculature lisse de la vessie
et de luretre, et forme un systeme, structurellement
et pharmacologiquement, tres complexe.
Les centres medullaires et supramedullaires, relies
entre eux par le reseau multisynaptique du systeme
extrapyramidal, sont etages de haut en bas.
 Les centres corticaux, localises a la face interne
du lobe frontal et dans les structures
sous-jacentes du cortex archaique (systeme
limbique), interviennent respectivement dans
la commande volontaire et instinctive ou emotionnelle
du refl exe mictionnel.
 Les centres diencephaliques (noyaux gris centraux)
sont impliques dans les dysfonctionnements
vesicaux de la maladie de Parkinson.
 Les centres pontiques, dans la partie anterieure
de la protuberance annulaire, jouent un
role important dans le refl exe mictionnel de
ladulte. Deux centres, fonctionnellement in-
dependants, ont ete identifi es (7) : un centre
M (median) ou centre mictionnel pontin dont
la stimulation declenche une miction refl exe,
et un centre L (lateral) ou centre de stockage
pontin dont la stimulation induit une forte
contraction sphincterienne et perineale (8).
 Les centres medullaires, dont les neurones occupent
la corne laterale de la moelle, se situent
a letage sacre (S2 a S4) pour le parasympathique,
a letage dorso-lombaire (D10 a L2) pour
le sympathique.
La voie peripherique des neurones vegetatifs est
caracterisee par la presence dau moins une synapse
ganglionnaire. Les ganglions, situes generalement
(mais pas exclusivement) dans les plexus,
ne sont pas seulement des structures de transmission
et de diff usion permettant le contact entre
un neurone preganglionnaire et plusieurs neurones
postganglionnaires, mais aussi des structures
de controle mutuel et de coordination entre des
systemes antagonistes comme le sympathique et
le parasympathique.
 Les nerfs splanchniques, en provenance de la
moelle lombaire, descendent sur la face laterale
de laorte en formant une lame nerveuse plus ou
moins etalee et plexiforme : le nerf presacre ou
plexus hypogastrique superieur. Celui-ci donne,
de chaque cote, les nerfs hypogastriques qui rejoignent
le plexus hypogastrique inferieur.
 La reunion des 2e, 3e et 4e nerfs sacres et de
leurs branches anterieures forme le plexus honteux
dou sont issus (outre le nerf Pudendal)
les nerfs pelviens (ou erecteurs) qui gagnent le
plexus hypogastrique inferieur.
Schematiquement, les neurones sympathiques,
venus du centre dorso-lombaire, empruntent
donc le trajet des nerfs hypogastriques et synapsent
dans le plexus hypogastrique superieur, alors
que les neurones parasympathiques en provenance
du centre sacre empruntent le trajet des nerfs
pelviens et synapsent dans le plexus hypogastrique
inferieur. Il existe bien quelques exceptions a
ce schema ; mais dans lensemble on peut assimiler
les nerfs hypogastriques au sympathique, les
nerfs pelviens au parasympathique, et considerer
le plexus hypogastrique inferieur comme une
structure commune.
Le systeme  nerveux autonome intrinseque 
regroupe toutes les structures nerveuses situees
au contact ou dans la paroi meme de la vessie et
de luretre, et qui echappent donc a la denervation
par section des troncs nerveux. Dans ce reseau,
structurellement et fonctionnellement tres
complexe, les neurones sont identifi es par leurs
neuromediateurs, cest-a-dire, principalement, la
noradrenaline pour le sympathique et lacetylcholine
pour le parasympathique. Des terminaisons
adrenergiques et cholinergiques sont retrouvees
en tout point de la vessie et de luretre, mais leur
densite et leur nature sont tres diff erentes selon
les regions :
 Le dome et la base sont richement innerves
au point quon a pense  sans doute abusivement
 a une innervation individuelle des
cellules lisses, caracteristique des muscles directement
innerves (9, 10). Il sagit presque
exclusivement de terminaisons cholinergiques,
plus accessoirement de terminaisons adrenergiques
plus nombreuses dans la base que dans
le dome.
 Le col et surtout luretre sont pauvrement innerves
par des terminaisons cholinergiques et
adrenergiques (10, 11).

1.3. La médiation pharmacologique
La densite des terminaisons nerveuses, la nature
des neurotransmetteurs quelles liberent et la specifi
cite des recepteurs pharmacologiques pre et
postsynaptiques, sont les elements determinants
de la physiologie vesico-sphincterienne : ce sont
eux, plus que lorientation supposee des fi bres
musculaires, qui realisent les conditions permettant
la continence ou la miction.
De nombreux neurotransmetteurs ont, a ce jour,
ete identifi es. Les premiers qui le furent, et qui
restent les plus importants, sont lacetylcholine
(Ach) et la noradrenaline (Nad).

1.3.1. L’innervation cholinergique
et adrénergique (fi g. 4)
Lacetylcholine a un eff et excitateur sur la fi -
bre musculaire et la synapse interneuronale.
Synthetisee par les neurones preganglionnaires
sympathique et parasympathique, elle favorise

la transmission interneuronale en se liant a des
recepteurs nicotiniques. Cette action est bloquee
par un ganglioplegique. Synthetisee par le neurone
postganglionnaire du parasympathique et
par le motoneurone somatique, elle permet la
contraction des fi bres musculaires lisses et striees,
respectivement. La premiere est bloquee par un
antimuscarinique, comme latropine, la seconde
par le curare. A ce jour, 5 sous-types de recepteurs
muscariniques ont ete clones, certains facilitateurs
(M1 et M3), dautres inhibiteurs (M2
et M4). Dans la vessie, seuls les recepteurs M3
interviennent normalement dans la contraction,
alors que les recepteurs M2, pourtant majoritaires
en nombre, ninterviennent quen cas de denervation
(12, 13).
La noradrenaline a une action plus complexe : la
reponse de la fi bre musculaire lisse a la noradrenaline
liberee par le neurone postganglionnaire
du sympathique depend de la nature du recepteur
: contraction pour les recepteurs α relaxation
pour les recepteurs s. Les premiers, (notamment
les recepteurs α1A (14), participent au maintien
dun tonus actif du sphincter lisse, les seconds
(notamment les recepteurs s2) a la relaxation de
la vessie ainsi que du sphincter lisse de luretre.

1.3.2. L’innervation non cholinergique
et non adrénergique (NANC)
Les neurotransmetteurs non cholinergiques non
adrenergiques (NANC) sont nombreux et leur
mode daction est complexe. En eff et, la plupart
interviennent, de facon ubiquitaire, a la fois sur
le systeme central et peripherique, sur la voie
aff erente et la voie eff erente, directement sur la
fi bre musculaire lisse ou indirectement, comme
cotransmetteurs ou modulateurs de lacetylcholine
ou de la noradrenaline. La resultante motrice
peut etre une contraction ou une relaxation de
la fi bre musculaire selon la nature du transmetteur
et du recepteur. Dans la physiologie vesicale,
lintervention des NANC, accessoire dans les
conditions normales, pourrait devenir importante
dans les situations pathologiques telles que
lobstruction et lhyperactivite ; leff et dominant
est alors plutot une contraction du detrusor.
Les purines, essentiellement lATP (Adenosine

Fig. 4 - Neurotransmetteurs et neurorécepteurs adrénergiques
et cholinergiques (d’après Buzelin et coll.) (1)
5-triphosphate), agissent sur les recepteurs purinergiques
P1 et surtout P2, en particulier les
sous-types P2X1 (sur la cellule musculaire lisse)
et P2X3 (sur le neurone aff erent) (15).
 Les neuropeptides regroupent plusieurs groupes
de peptides dont :
 les tachychinines, qui agissent sur divers recepteurs
NK : substance P (NK1), neurokinine A
(NK2), neurokinine B (NK3) ;
 les enkephalines, principalement les endorphines,
qui agissent sur divers recepteurs opiaces
centraux et peripheriques : leucine-enkephaline,
methionine-enkephaline ;
 le neuropeptide gamma, la vasoactive intestinal
peptide (VIP), la calcitonine-gene-related Peptide
(CGRP), la bradikinine
 Les autres neurotransmetteurs NANC :
- lhistamine agit sur divers recepteurs H, en
particulier H1 ;
- la serotonine ou 5 hydroxytryptamine
(5-HT) est un neuromediateur du systeme
nerveux central, quon retrouve dans les
centres medullaires et les ganglions spinaux ;
les prostaglandines, en particulier les PGI2,
PGE2 et PGF2, qui agissent respectivement
sur les recepteurs IP, EP et FP ;
le monoxyde dazote (NO).

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