À propos d’une ulcération palatine
E. Boutremans1, M. Shahla1, L. Tant1, R. Javadian1,
N. de Saint Aubain2, I. Loeb1
un patient de 38 ans d’origine polonaise est admis pour
une ulcération palatine peu douloureuse évoluant
depuis environ 3 jours. Elle se situe de part et d’autre de la
ligne médiane et elle expose en profondeur l’os maxillaire (fig. 1).
Ce patient tabagique ne présente par ailleurs aucun autre antécédent
particulier. L’interrogatoire systématique ne met en évidence
ni prise de cocaïne, ni injection locale de vasoconstricteur
ou d’autre produit caustique pouvant expliquer la présence de
cette ulcération. Le reste de la cavité buccale est exempt de toute
autre lésion.
Une biologie courante révèle l’existence d’un syndrome inflammatoire
(CRP à 14,2 mg/L). Un scanner du massif facial ne révèle
ni atteinte osseuse ni communication naso-buccale. Il nous
oriente vers un diagnostic de lésion granulomateuse inflammatoire
ou infectieuse.
Un frottis de la lésion et un prélèvement biopsique sont réalisés.
Dans l’attente des résultats, le patient est placé sous antibiothérapie
préventive (Augmentin 4x1gr I.V.) et soins locaux à base
d’éosine acqueuse 2%.
Face à ce type de lésion les diagnostics différentiels suivants doivent
être évoqués :
1. Ulcération traumatique, iatrogène (automutilation, blessure
par objet, injection de vasoconstricteur, médicaments…).
2. Néoplasies :
a. adénocarcinomes salivaires : carcinome adénoïde kystique,
carcinome muco-épidermoïde, adénocarcinome à cellules acineuses,
adénocarcinome polymorphe bien différencié, tumeur
mixte maligne ;
b. Lymphomes ;
c. Sarcomes ;
d. Lésion métastatique.
3. Troubles inflammatoires chroniques :
a. Périadénite de Sutton ;
b. Sialométaplasie nécrosante ;
c. Lichen plan érosif ;
d. Lupus érythémateux discoïde ;
e. Réaction lichénoïde ou lupique.
4. Infections chroniques :
a. Tuberculose ;
b. Syphilis primaire ou tertiaire ;
c. Mycose profonde.
5. Vasculite : granulomatose de Wegener.
Les sérologies pratiquées à la recherche de syphilis et d’herpès
se sont avérées négatives. Sous traitement, la lésion a involué,
le fond de l’ulcération s’est comblé en 10 jours, aux deux tiers,
par du tissu de granulation (fig. 2).
Figure 1. Ulcération palatine lors de la première consultation. |
Figure 2. Ulcération palatine après 10 jours de traitement ; tissu de granulation recouvrant le fond de l’ulcération |
Quel est votre diagnostic ?
Réponse
Il s’agit d’une sialométaplasie nécrosante.
Décrite pour la première fois par Abrams et al. en 1973, cette
lésion, relativement rare, est une ulcération inflammatoire
non néoplasique des glandes salivaires accessoires [1]. Elle
représente environ 0,03 % des lésions diagnostiquées par
biopsie [2].
Cette lésion presque exclusivement palatine a néanmoins été
observée dans d’autres localisations : régions rétromolaire et
linguale, cavité nasale, sinus maxillaire, glandes salivaires
majeures (sous-maxillaires, parotides et sub-linguales) [1-4].
La lésion débute par une tuméfaction focale douloureuse.
Après quelques jours, celle-ci fait place à une ulcération à bords
nets, pouvant s’étendre jusqu’à l’os, entourée d’un halo
érythémateux [2]. Une fois l’ulcération installée, elle occasionne
peu de douleur [5].
Si l’étiopathogénie est mal connue, certains auteurs suggèrent
qu’une atteinte physico-chimique des vaisseaux sanguins
serait responsable de perturbations ischémiques au niveau
des glandes salivaires conduisant à leur infarcissement [1].
Les facteurs étiologiques évoqués sont multiples : intubations
difficiles, anesthésies locales, prothèses mal adaptées,
vomissements violents répétitifs (rencontrés dans les cas
d’anorexie/boulimie), les infections locales, le tabac, la radiothérapie
ou encore la prise de cocaïne [1-4]. Le diabète et
l’alcoolisme chronique sont un terrain favorisant [1].
Du point de vue anatomo-pathologique, l’ulcération contient
un tissu de granulation non spécifique, on note une nécrose
des lobules salivaires de type ischémique en périphérie, une
néovascularisation et une métaplasie épidermoïde des canalicules
et des acini muqueux au centre de la lésion [2]. Contrairement
aux carcinomes salivaires, l’architecture lobulaire garde
toute son intégrité dans la sialométaplasie nécrosante [1].
L’examen histopathologique réalisé sur le prélèvement biopsique
a confirmé chez notre patient le diagnostic de sialométaplasie
nécrosante.
La guérison est habituellement spontanée et s’observe en 7 à
10 semaines, laissant habituellement une cicatrice. Ce qui fut
le cas chez notre patient.
Les ressemblances cliniques et histologiques avec les néoplasies
orales (carcinomes), soulignent l’importance d’un diagnostic
précis et précoce afin d’éviter d’éventuels traitements
inutilement mutilants.
Références
1. Femopase FL, Hernandez SL, Gendelman H, Criscuolo MI,
Lopez de Blanc SA. Necrotizing sialometaplasia: report of 5 cases.
Med Oral 2004;9:304-8.
2. Piette E, Reychler H. Traité de pathologie buccale et maxillofaciale.
De Boeck université, 1991, p. 1126.
3. Fowler CB, Brannon RB. Subacute necrotizing sialadenitis: report
of 7 cases and a review of the literature. Oral Surg Oral Med Oral
Pathol Oral Radiol Endod 2000;89:600-9.
4. Scully C, Eveson J. Sialosis and necrotizing sialometaplasia in
bulimia; a case report. Int J Oral and Maxillofac Surg 2004;
33:808-10.
5. Scully C, Gorsky M, Lozada-Nur F. The diagnosis and management
of recurrent aphtous stomatitis: a consensus approach.
J Am Dent Assoc 2003;134: 200-7.
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