Des ulce´rations « douteuses » de la cavite´ buccale
A. Wiss, R. Laurans, C. Chossegros*, P. Olivi
Observation
Monsieur G.B., aˆge´ de 42 ans, a e´te´ adresse´ a` la consultation
car il pre´sentait depuis un mois une geˆne pharynge´e de type
angine.
Les seuls ante´ce´dents notables e´taient d’ordre dermatologique
et assez re´cents : pitiriasis rose´ de Gilbert associe´ a` un
prurigo, deux e´pisodes de prurit ge´ne´ralise´ conside´re´s
comme une gale et traite´s par ivermectine (StromectolW) a`
neuf reprises en l’espace de deux mois.
L’examen clinique endobuccal retrouvait des le´sions multiples
et he´te´roge`nes avec notamment des le´sions ulce´re´es
des deux loges amygdaliennes, pre´dominant a` gauche
(fig. 1), trois ulce´rations infracentime´triques sensibles a` la
palpation situe´es a` la jonction palais dur – palais mou de
part et d’autre de la ligne me´diane (fig. 2). Enfin, le patient
pre´sentait une discre`te inflammation du frein de le`vre
supe´rieure.
La palpation cervicale mettait en e´vidence une ade´nopathie
spinale gauche indolore.
Figure 1. Aspect inflammatoire et tume´fie´ des deux loges amygdaliennes
(fle`ches).
Figure 2. Le´sions ulce´re´es du palais (fle`ches).
Figure 3. Le´sions cutane´es sie´geant au niveau des bras.
L’examen ge´ne´ral retrouvait de manie`re concomitante des
le´sions cutane´es e´rythe´matomaculeuses au niveau des bras
(fig. 3).
A`
noter que monsieur G.B., divorce´ et sans enfants, e´tait en
cours de sevrage alcoolique.
Les examens biologiques re´alise´s jusqu’alors e´taient
normaux : he´mogramme, bilan he´patique, se´rologies VHC,
VHB, VIH 1 et 2.
Quel est votre diagnostic ?
Il s’agit d’une syphilis secondaire.
Le diagnostic a e´te´ retenu devant l’association de le´sions
polymorphes de la cavite´ buccale, avec une atteinte cutane´e
et des signes ge´ne´raux, la positivite´ des se´rologies et l’orientation
homosexuelle recueillie lors de l’interrogatoire.
En effet, les pe´ne´trations e´taient prote´ge´es mais pas les
rapports oroge´nitaux, mode de contamination le plus probable
chez ce patient et le plus probable dans le cadre de
l’e´pide´mie actuelle de syphilis chez les hommes qui ont des
rapports sexuels avec des hommes. Ve´ritable fle´au depuis la
fin du xve sie`cle jusqu’a` la seconde guerre mondiale et
l’apparition de la pe´nicilline [1], le diagnostic de syphilis
n’est plus assez e´voque´ de nos jours. Il s’agit pourtant d’une
affection en recrudescence depuis une dizaine d’anne´es,
notamment dans le milieu homosexuel, en particulier du
fait de l’absence de protection lors des rapports oroge´nitaux
[2].
Par ailleurs, il existe une forte corre´lation entre la maladie
syphilitique et l’infection par le virus de l’immunode´ficience
humaine (VIH) [3]. Non seulement la co-infection paraıˆt plus
agressive qu’une mono-infection, le VIH accroissant le nombre
et la fre´quence des ulce`res ge´nitaux, prolongeant les
phases primaire et secondaire, et pre´cipitant le stade de
neurosyphilis, mais en plus, il semblerait que la syphilis orale
favorise l’infection au VIH.
La syphilis est une maladie sexuellement transmissible cause
´e par un spiroche`te, le Treponema pallidum. La contamination
est pratiquement toujours sexuelle et directe [4]. La
cavite´ buccale est le site extrage´nital le plus commune´ment
atteint : 12 a` 14 % pour la syphilis primaire [2].
L’e´volution de la maladie se fait en trois phases : primaire,
secondaire, phase de latence, tertiaire [4].
La syphilis primaire survient apre`s une pe´riode d’incubation
d’environ 20 jours suivant la contamination. La principale
symptomatologie en est le chancre, re´alisant une
e´rosion, voire une ulce´ration classiquement indolore, avec
une induration marginale et dont la cicatrisation est
spontane´e en six a` huit semaines. Il existe une ou plusieurs
ade´nopathies satellites pouvant persister plus longtemps.
La syphilis secondaire de´bute 60 jours apre`s la contamination
et peut durer jusqu’a` trois ou quatre ans en l’absence de
traitement. C’est la phase de ge´ne´ralisation de la maladie,
commune´ment appele´e « la grande simulatrice » compte
tenu de manifestations buccales, syste´miques et cutane´es.
Les manifestations buccales de la syphilis secondaire sont
superficielles, disse´mine´es et le plus souvent douloureuses.
Elles ont une tendance spontane´e a` la cicatrisation et re´cidivent
fre´quemment.
La multitude de formes cliniques (syphilides e´rythe´mateuses,
opalines, e´rosives, papuleuses, hypertrophiques) peut
faire e´voquer a` tort un grand nombre de diagnostics diffe´-
rentiels.
Les manifestations ge´ne´rales sont marque´es le plus souvent
par un syndrome pseudogrippal. L’angine syphilitique est
fre´quente. Une micropolyade´nopathie ge´ne´ralise´e est quasi
constante.
Les manifestations cutane´es distinguent deux pe´riodes :
la premie`re floraison avec la rose´ole (macules e´rythe´mateuses
rose paˆle au niveau du tronc et la racine des membres,
respectant la face, non prurigineuses) ;
la seconde floraison avec les syphilides papuleuses
(papules infiltre´es cuivre´es atteignant principalement la
face et les re´gions palmoplantaires, non prurigineuses).
Apre`s une phase de latence asymptomatique, la syphilis
tertiaire de´bute trois a` 15 ans apre`s la contamination. Les
manifestations sont essentiellement neurologiques, cardiaques,
osseuses et cutane´omuqueuses (gommes re´alisant des
nodules hypodermiques inflammatoires indolores le plus
souvent au niveau de la face).
Le diagnostic de syphilis est essentiellement biologique [5].
Les tests re´alise´s en pratique (VDRL et TPHA), longtemps
ne´gatifs en cas de syphilis primaire, sont positifs lors de la
syphilis secondaire, avec des titres e´leve´s en anticorps (fig. 4).
Le patient pre´sente´ dans le cas clinique e´tait positif au VDRL
a` 1/16 et au TPHA a` 1/5120.
Enfin, il n’existe pas de diagnostic anatomopathologique, les
aspects histologiques e´tant variables. Le seul inte´reˆt de la
biopsie e´tant l’e´limination d’un diagnostic diffe´rentiel [6].
Le traitement recommande´ est le « traitement minute » :
benzathine-pe´nicilline (ExtencillineW), 2,4 millions d’UI en
intramusculaire [4]. C’est le traitement dont a be´ne´ficie
Figure 4. Sche´ma simplifie´ d’aide a` l’interpre´tation des se´rologies de la syphilis.
notre patient dans cette observation, favorisant la cicatrisation,
meˆme si celle-ci est en ge´ne´ral spontane´e en l’absence de traitement.
En cas d’allergie, le traitement par cyclines (VibramycineW
per os, 200 mg/j) ou macrolides (E´rythromicineW per os, 2 g/j)
pendant 15 jours est recommande´.
La re´action de Jarish-Herxheimer associant fie`vre, frissons,
malaise ge´ne´ral et e´ruption cutane´e dans les six heures
suivant l’injection de pe´nicilline est traite´e par corticothe´rapie.
Par ailleurs, une enqueˆte e´pide´miologique est ne´cessaire a` la
recherche et au traitement des partenaires sexuels potentiellement
contamine´s.
C’est la diminution significative du VDRL (baisse du titre du
VDRL de quatre fois en six mois) qui permet de suivre
l’efficacite´ du traitement.
Cependant, les se´rologies de syphilis peuvent rester positives
si le traitement est instaure´ tardivement [5].
Conflits d’inte´reˆts
Il n’y a aucun conflit d’inte´reˆt.
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