vendredi 30 août 2013

Une tuméfaction cervicale d’allure inflammatoire



Une tuméfaction cervicale d’allure inflammatoire


Un jeune homme de 26 ans se présente en consultation

de chirurgie maxillo-faciale pour prise en charge diagnostique

et thérapeutique d’une tuméfaction cervicale gauche

(fig. 1). Ce patient est né au Maroc le 4 octobre

1978. Il est étudiant à Marseille depuis deux ans. Sans

antécédent médico-chirurgical particulier, hormis un

ulcère duodénal guéri. En décembre 2003, il a présenté

des algies dentaires traitées médicalement. Fin février

2004, il a consulté pour un gonflement cervical gauche

apparu très progressivement en deux mois, modérément

douloureux, non rythmé par les repas, sans écoulement.

Le patient présentait un état général convenable, sans

amaigrissement ni signe fonctionnel mis à part des sueurs

nocturnes.

À l’inspection la peau en regard de la voussure était

rouge, tendue et d’allure inflammatoire. À la palpation, la

masse de 7 cm, oblongue, était située à mi-hauteur du

bord antérieur du muscle sterno-cléido-mastoïdien ; sa

consistance était élastique. La peau était chaude et la

tuméfaction était non adhérente aux plans superficiels et

profonds. La palpation était légèrement douloureuse. Il

n’y avait pas d’adénopathie cervicale palpable. À l’examen

stomatologique, l’ouverture buccale était normale,

l’hygiène dentaire faible et de nombreuses dents étaient

traitées. Le reste de l’examen était normal.

Le cliché panoramique dentaire (fig. 2), montrait une

34 incluse, une persistance de la racine de la 14 et une

carie de la 38. La radiographie du thorax et l’électrocardiogramme

étaient normaux. Un bilan biologique de première

intention montrait des globules blancs à 6,17 G/l

avec une formule normale, une hémoglobine à 14 g/dl,

une vitesse de sédimentation à 13 mm à la première

heure, une CRP modérément élevée à 8 mg/l. Un scanner

cervical sans puis avec injection montrait une masse de

7 cm de densité tissulaire en halo avec un centre hypodense

de nécrose (fig. 3a et b).






Figure 1 : Tuméfaction, d’allure inflammatoire, cervicale gauche.
 Vue antérieure.


Figure 2 : Panoramique dentaire. Noter la 1re prémolaire gauche incluse 
(34) et la carie sur la 3e molaire inférieure gauche (38).



Figure 3 : Scanner cervico-facial montrant 
la tuméfaction hypodense d’allure nécrotique 
en son centre. a) en coupe transversale. 
b) en coupe coronale.


QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC ?

RÉPONSE

Compte tenu de l’ensemble du tableau, le diagnostic le

plus probable est celui d’une tuberculose ganglionnaire. À

ce stade, le bilan suivant a été demandé. Les sérologies

HIV 1 et 2, brucellose et toxoplasmose étaient normales.

Les sérologies CMV et EBV montraient une séroconversion

ancienne. Le typage lymphocytaire était normal et le

dosage des anticorps anti-nucléaires était négatif. L’examen

cytobactériologique des crachats était négatif. Par

contre, l’intradermoréaction à la tuberculine (10 ui) était

phlycténulaire (fig. 4). La cytoponction a ramené un

liquide lactescent, de substance mucoïde très riche en

polynucléaires altérés et en éléments histiocytaires. L’examen

direct montrait une absence de BAAR et la culture

est restée stérile, y compris sur milieu de culture des

mycobactéries. Cependant, la cytoponction n’apportant

pas le diagnostic de certitude, une cervicotomie latérale

gauche a été réalisée, sous anesthésie générale et en

semi-urgence à titre diagnostique et thérapeutique. L’incision

a été réalisée le long du bord antérieur du muscle

sterno-cléido-mastoïdien. On a procédé à la mise à plat de

l’abcès et à un lavage abondant à l’eau oxygénée et à la

povidone iodée. La paroi de l’abcès, adhérente à l’aponévrose

du muscle, a été réséquée. La fermeture a été effectuée

en deux plans après pose d’une lame de drainage.

Nous avons profité de l’anesthésie générale pour procéder

à l’avulsion de la 38, de la 35 incluse et de la racine de la

14. La pièce a été envoyée en bactériologie et en anatomopathologie.

L’analyse montrait un infiltrat inflammatoire

comportant de nombreux granulomes constitués de

cellules macrophagiques, épithélioïdes et géantes avec

d’importants remaniements nécrotiques centraux riches

en lymphocytes et neutrophiles, sans prolifération tumorale.

Le tout était compatible avec une myco-bactériose et

le diagnostic retenu a donc été celui de tuberculose. Le

patient, n’étant pas contagieux, est sorti du service à cinq

jours et il a été traité en externe par une polychimiothérapie

antituberculeuse pendant 9 mois. En anecdote, on

notera que l’abcès a doublé de volume en quelques jours

lors de la réalisation de l’intradermoréaction à la tuberculine.

Ce patient a été revu au terme des 9 mois de traitement

et il a été conclu à une guérison clinique de la

tuberculose.



Figure 4 : Intradermoréaction à la tuberculine phlycténulaire du patient

FACE À CE CAS CLINIQUE, QUELLES SONT

LES PRINCIPALES ORIENTATIONS

DIAGNOSTIQUES ?

Pathologie cervico-faciale et stomatologique

Un abcès dentaire

Diagnostic évoqué devant le mauvais état bucco-dentaire.

Cependant, aucune dent ne présentait de granulome apical

et il n’y avait plus de douleur dentaire.

Kyste congénital du cou (notamment un kyste branchial

de la deuxième fente)

Il est évoqué ici devant sa position latérale, longeant le

bord antérieur du sterno-cléido-mastoïdien dans sa hauteur

médiane et son terrain de survenue à savoir un

homme jeune sans antécédent. On note ici l’absence de

fistule cutanée. Le prélèvement cytologique et l’analyse

anatomopathologique écartent le diagnostic.

Une adénopathie de drainage d’un foyer infectieux

de proximité

Tégument de la face, cuir chevelu et muqueuses. Ici, le

bilan clinique était négatif.

Une adénopathie métastatique prévalente

On peut également évoquer une adénopathie métastatique

prévalente d’un cancer de la cavité buccale et des

voies aéro-digestives supérieures, infirmée par l’histologie.

Pathologie systémique

Une adénopathie infectieuse

Particulièrement le virus de l’immunodéficience humaine,

chez ce patient jeune, mais la sérologie HIV était négative.

Une sarcoïdose

Notamment devant l’aspect histologique. On note que le

typage lymphocytaire est normal et que l’intradermoréac-

tion est négativée dans le syndrome de Löfgren.

La tuberculose ganglionnaire

C’est la localisation la plus fréquente des atteintes extrapulmonaires

de la maladie [1]. Elle se rencontre lors d’une

réactivation endogène de mycobactéries, jusqu’alors maîtrisées

par le traitement adapté d’une infection primaire

antérieure. Les conditions de cette réactivation sont

diverses : baisse de l’immunité lors d’une hémopathie

maligne, infection à VIH, diabète sucré non équilibré, malnutrition

ou médicaments immunodépresseurs comme les

chimiothérapies ou les glucocorticoïdes. Le terrain de survenue

est particulièrement le sujet jeune et transplanté

géographiquement. Au niveau clinique, les sueurs nocturnes,

l’apyrexie et le fléchissement de l’état général sont

évocateurs de tuberculose [2]. L’évolution reste souvent

locale avec une évolution vers la fistulisation. L’adénopathie

est de consistance molle et fluctuante. Elle peut être

parfois pseudo-maligne avec une taille importante et une

adhérence à la peau et au plan profond. On recherchera

toujours la présence d’un chancre en bouche car la voie

d’inoculation est souvent bucco-pharyngée. Le diagnostic

reste difficile car la radiographie du poumon est le plus

souvent normale ainsi que les prélèvements bactériologiques.

Une ponction de l’adénopathie ne permet pas toujours

l’identification du bacille de Koch [3]. En revanche,

l’intradermoréaction est le plus souvent phlycténulaire.

Une radiographie cervicale peut être utile dans les formes

anciennes en montrant des calcifications très caractéristiques.

Le foyer initial ayant disparu, le patient n’est souvent

pas contagieux et peut sortir avec un traitement

ambulatoire de neuf mois au total, comprenant deux mois

de quadrithérapie (isoniazide, rifampicine, éthambutol,

pyrazinamide) puis une bithérapie de rifampicine/isoniazide.

Un bilan de dissémination de la maladie devra être

réalisé à la recherche d’une atteinte systémique notamment

osseuse, rénale, génitale, méningée ou surrénalienne,

d’autres atteintes ganglionnaires et pulmonaires

(pleurésie) [4]. On évoquera également les infections à

mycobactéries atypiques (plus fréquentes chez les séropositifs

VIH) qu’il faudra commencer à traiter comme une

tuberculose ganglionnaire.



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