mardi 17 septembre 2013

Facteurs de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du larynx


Facteurs de risque des cancers de la cavité
buccale, du pharynx (cavum exclu) et du larynx



Summary

Risk factors for cancers of the oral cavity, pharynx (cavity

excluded) and larynx

Objective > To review the risk factors for squamous cell carcinoma

of the oral cavity, pharynx, and larynx.

Methods > Review of the literature using the Medline digital

database (1980–2007). Previously published studies or studies not

found in the database were included if relevant. Four types of

studies were selected: (1) epidemiological, (2) toxicologic, (3)

clinical, and (4) fundamental research. Publications concerning

cancer of the nasopharynx were excluded. This work is based upon

the ANAES guide for analysis of the literature and rating of

guidelines, published in January 2000.

Results > The principal risk factors are tobacco and alcohol. Other

risk factors, particularly infectious (viral) or environmental (nutritional

and occupational), are also involved. From this analysis we

conclude that: (1) most clinical and fundamental publications

concern smoking and alcohol use; (2) studies of other risk factors are

relatively old, especially those concerning nutritional and occupational

factors; (3) most publications have a low level of scientific

Résumé

Objectif > Faire le point sur les facteurs de risque des carcinomes

épidermoïdes de la cavité buccale, du pharynx et du larynx.

Méthodes > Revue de la littérature à partir de la base de données

informatisée Medline (1980–2007). Des études antérieures citées

dans les articles retenus, ou ne faisant pas partie de la base de

données, ont été incluses en fonction de leur pertinence. Quatre type

d’études ont été sélectionnés : (1) études épidémiologiques ; (2)

études toxicologiques ; (3) études cliniques ; (4) recherche fondamentale.

Ont été exclues de ce travail toutes les publications relatives

au cancer du rhinopharynx. Notre travail s’est appuyé sur le guide

d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, publiée

par l’Anaes en janvier 2000.

Résultats > Les facteurs de risques principaux sont le tabac et l’alcool.

D’autres facteurs en particulier infectieux (virus) ou environnementaux

(nutritionnels et professionnels) sont également impliqués. Il

ressort de notre analyse que : (1) l’essentiel des publications cliniques

et fondamentales portent sur le tabac et l’alcool ; (2) pour les autres

facteurs de risques identifiés, les publications sont relativement

anciennes en particulier en ce qui concerne les facteurs nutritionnels

et professionnels ; (3) la plupart des publications ont un faible niveau


proof (grade C, levels 3 and 4). These 3 points explain the delay in

the analysis of risk factors for upper aerodigestive tract (UADT)

cancers.

Conclusions > We must make up for this delay by prospective

studies that include very large samples and use thorough and

multivariate statistical analyses to estimate the impact of various

toxic substances on the incidence of UADT cancer. This demands: (1)

awareness on the part of all physicians who manage this type of

cancer of the need to ask questions about exposure to risk factors

besides than tobacco and alcohol; (2) collaboration between these

physicians as well as with general practitioners, epidemiologists,

nutritionists, and occupational physicians.


de preuve scientifique (grade C, niveaux 3 et 4). Ces 3 points

traduisent le retard qui a été pris en ce qui concerne l’analyse des

facteurs de risques des cancers des voies aérodigestives supérieures

(VADS).

Conclusions > Il y a nécessité de combler le retard pris par le biais

d’études incluant un grand nombre de patients, de façon prospective,

en ayant recours à des analyses statistiques approfondies multivariées

et ce, dans le but de faire ressortir l’impact de chacun des

toxiques sur l’incidence des cancers des VADS. Cela suppose : (1) une

prise de conscience de la part de l’ensemble des médecins qui

prennent en charge ce type de cancer, de la nécessité de rechercher

par l’interrogatoire d’autres facteurs de risque que le tabac et l’alcool ;

(2) une collaboration entre ces médecins mais également les médecins

généralistes, les épidémiologistes, les nutritionnistes et les

médecins du travail

Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS)

comportent 3 sous groupes (figure 1) :

les cancers des glandes salivaires ;

les cancers rhinosinusiens ;

les cancers de la cavite´ buccale, du pharynx et du larynx.

Parmi les cancers du pharynx, on distingue les tumeurs du

cavum ou rhinopharynx qui sont pour la plupart des cancers de

type UCNT (Undifferential Cancer Nasopharyngeal Type). Pour

ces cancers, l’implication du virus Epstein-Barr dans le processus

de cancérogenèse a été identifiée au début des années

1990 [1]. Cette localisation anatomique n’a pas été prise en

compte dans notre travail.

La fréquence des cancers de la cavité buccale, du pharynx et du

larynx augmente dans le monde [2]. Il s’agit dans plus de 90 %

des cas de cancers malpighiens dont il existe différents sousgroupes

selon la classification de l’OMS (Organisation mondiale

de la santé) [3]. Ce ne sont plus uniquement les hommes d’âge

mûr (50–60 ans) alcoolotabagiques qui sont concernés, mais de

plus en plus de femmes et de sujets jeunes qui sont atteints par

ce type de tumeur [4]. Malgré les avancées thérapeutiques, le

1230

Ce qui e´ tait connu

Cancers des voies aérodigestives supérieures : 17 000 nouveaux

cas/an en France.

Les 2 toxiques principaux identifiés : le tabac et l’alcool.

Ce qu’apporte notre travail

D’autres facteurs de risque sont probablement incriminés : le

cannabis, les virus de la famille des Papilloma virus, l’hygiène

dentaire, les facteurs environnementaux (nutritionnels, professionnels),

l’immunodépression (VIH).

Nécessité d’une collaboration entre spécialistes d’organe (ORL,

chirurgiens maxillo-faciaux), mais aussi médecins généralistes,

nutritionnistes, épidémiologistes, médecins du travail pour mieux

identifier ces facteurs.

Proposition de centralisation de ces données au niveau des

registres du cancer regroupés dans le réseau Francim.

De la bonne connaissance de ces facteurs de risque, pourrons

déboucher des actions en termes de prévention primaire susceptibles

de diminuer l’incidence et la mortalité de ce type de cancer.


Figure 1
Représentation anatomique des voies aérodigestives
supérieures (VADS) sur une coupe sagittale médiane
(1) Rhinopharynx (cavum) ; (2) Oropharynx ; (3) Cavité buccale ; (4) Larynx ;
(5) Hypopharynx 

pronostic de ces cancers reste médiocre, 35 à 40 % à 5 ans tous

stades et localisations confondues [5]. Un des moyens de faire

baisser la mortalité de ces cancers est la prévention primaire

mais cela nécessite, entre autres, d’individualiser parfaitement

les facteurs de risque susceptibles d’être impliqués dans la

survenue de ces tumeurs.

Même si l’alcool et le tabac demeurent les 2 toxiques majeurs

identifiés, il semble que d’autres facteurs, notamment environnementaux

et alimentaires, puissent être liés à la survenue des

cancers des VADS chez des patients non alcoolotabagiques. Le

but de notre travail était de faire le point sur les facteurs de

risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx et du larynx

à partir des données de la littérature.

Méthodes

La recherche documentaire s’est faite à partir de la base de

données informatisée Medline (1980–2007) en utilisant

comme mots clés : « head and neck cancer », « squamous

cell carcinoma », « Tobacco », « Alcohol »,

« epidemiology », « carcinogen », « oncogenesis ». Ont été

exclues de ce travail toutes les publications relatives au cancer

du rhinopharynx compte tenu d’une épidémiologie très particulière

liée à ce type de cancer et de la nature histologique des

tumeurs rencontrées dans cette localisation anatomique.

Seules les publications traitant des cancers malpighiens de la

cavité buccale, de l’orohypopharynx et du larynx ont été

retenues.

Les auteurs de ce travail ont fait une première sélection

d’articles. Une seconde sélection a été faite par un médecin

ORL senior à partir des premiers articles sélectionnés. Des

études antérieures citées dans les articles retenus, ou ne faisant

pas partie de la base de donnée, ont été incluses en fonction de

leur pertinence. Quatre types d’études ont été sélectionnés :

e´ tudes e´ pide´ miologiques ;

e´ tudes toxicologiques ;

e´ tudes cliniques ;

recherche fondamentale.

Les facteurs de risque retenus l’ont été en fonction de leur

fréquence d’apparition dans les études.

Parmi les études cliniques, seules celles comportant un nombre

important de patients (>50) ont été retenues. Pour ces publications,

notre travail s’est appuyé sur le guide d’analyse de la

littérature et gradation des recommandations (A, B, C), publié

par l’Anaes en janvier 20006, afin d’évaluer le niveau de preuve

apporté en fonction de différents critères résumés dans le

tableau I.

Pour les études fondamentales, seules les publications

émanant d’équipes reconnues pour leurs travaux dans le

domaine de la cancérogenèse des cancers des VADS et décrivant

un mécanisme de cancérogenèse ont été retenues.

S’agissant d’une étude descriptive, il n’a pas été réalisé de

méta-analyse statistique.




Résultats

La recherche sur la base informatisée Medline a permis de

retrouver 258 articles. Après la première sélection opérée par le

groupe de lecture, 110 articles ont été retenus. Après relecture

par le médecin ORL senior, 77 ont été définitivement retenus. Si

l’on exclut les publications de l’OMS [3] et la classification de

l’Anaes [6], parmi les 75 publications restantes, 29 concernaient

des études épidémiologiques, 18 des études fondamentales,

17 des études toxicologiques et 11 des études cliniques.

Dans le chapitre qui suit, pour les études cliniques, le niveau de

preuve selon la classification de l’Anaes est indiqué entre

parenthèses.

Tabac

Le tabac peut être fumé, prisé ou chiqué. En France, le tabac

prisé et à chiquer est d’utilisation très marginale et représente

moins de 0,4 % du tabac consommé [7]. Le tabac à chiquer est

beaucoup moins toxique, mais il peut donner lieu à des cancers

des lèvres ou de la face interne des joues, car il peut être

mélangé à d’autres toxiques que sont la chaux, les feuilles de

bétel, et les noix d’Arèque ; ce type de consommation est très

répandu en Inde, à Taiwan et dans de nombreux pays d’Asie du

Sud-Est, mais également dans les populations migrantes issues

de ces régions géographiques [8]. L’utilisation du tabac sous

cette forme est tenue responsable d’une très forte augmentation

de l’incidence dans ces pays, de la fibrose sous-muqueuse

de la cavité buccale, en particulier chez les sujets jeunes et

indépendamment de la durée de consommation. Il s’agit d’une

lésion prénéoplasique qui est irréversible et sans traitement

connu. Le pourcentage de dégénérescence en carcinome malpighien

est particulièrement élevé.

Cependant, même utilisé seul, le tabac chiqué est toxique. C’est

ainsi que Schantz et Guo-Pei [9] ont attribué l’accroissement

des cancers de la langue chez les jeunes adultes aux États-Unis

à la forte augmentation de tabac à chiquer, confirmant le

rapport de l’International Agency for Research on Cancer (IARC)

de 1985 [10].

Aucune donnée épidémiologique concernant le tabac à priser

n’était disponible dans la littérature.

En France, c’est en 1954 qu’une première étude rétrospective

de 4000 malades atteints de cancers des VADS et un nombre

égal de sujets témoins non fumeurs a permis d’établir une

différence significative entre les 2 groupes, et donc d’imputer le

tabac comme facteur de risque [7]. Vingt ans plus tard en

Grande-Bretagne, Doll et Peto démontraient que le risque de

mortalité par cancer des VADS chez les fumeurs par rapport aux

non-fumeurs était augmenté de 2 à 12 en fonction de la

localisation, à l’exception des cancers des cavités rhinosinusiennes

et du cavum [11] (grade C). La corrélation entre le

risque accru de cancer chez les fumeurs et le siège du cancer est

probablement liée aux modalités du passage de la fumée de

tabac au contact des structures anatomiques, le contact se

faisant successivement avec les lèvres, la cavité buccale, l’oropharynx,

l’hypopharynx et le larynx. Szekely et al. [12] ont

montré que la sensibilité de la muqueuse au tabac et à l’alcool,

et donc le risque de développer un cancer, était décroissante de

la cavité buccale vers le larynx, avec un risque maximal au

niveau buccopharyngé, probablement par un contact plus étroit

et prolongé de la muqueuse avec les agents toxiques.

La consommation de cigarettes est la plus répandue, loin

devant celle du cigare et de la pipe. Une cigarette se compose

de 1 g de tabac, enrobé de papier qui est fait de chanvre, de lin

et autres ingrédients pour améliorer sa combustibilité. La

fumée de cigarette résulte de la combustion incomplète du

tabac. Elle contient 5 milliards de particules/mL ; ces particules

proviennent de la zone de combustion et sont générées par 3

réactions qui se produisent simultanément :

une pyrolyse qui de´ compose le tabac en petites mole´ cules ;

une pyrosynthe` se avec production de nouveaux composants ;

une distillation de certains composants du tabac. L’intensite´ de

ces re´ actions est directement lie´e a` la tempe´ rature de

combustion.

Physiopathologiquement, au sein de ces particules, 4 groupes

de substances sont distingués :

la nicotine ;

le monoxyde de carbone (CO) ;

les irritants (phe´ nols, alde´ hydes, acrole´ ı¨ne) ;

les substances cance´ rige` nes regroupe´ es en sous-classes dont

les 3 plus importantes sont les nitrosamines spe´ cifiques du

tabac, les arylamines et les hydrocarbures aromatiques

polycycliques dont le plus connu est le 3,4-benzo(a)pyre` ne

(3,4-BaP).

Les substances cancérigènes sont, pour une partie d’entre elles,

dissoutes dans la salive. Il s’agit en fait, pour la plupart, de

procarcinogènes inactifs rendus actifs grâce aux cytochromes

P450 1A1 [13]. C’est ainsi que le 3,4-BaP est transformé en un

carcinogène actif : le benzo (a) pyrène-diol-époxide. Des

travaux ont montré que le benzo (a) pyrène-diol-époxide

agissait directement sur l’ADN (acide désoxyribonucléique),

plus précisément au niveau des exons 4, 5, 6, 7 et 8 du

gène TP53 [14,15], gène clé dans la carcinogenèse des cancers

des VADS [16]. Il existe d’autres sous-classes de produit regroupant

plus de 50 substances cancérigènes [17].

Nous notons que le CO et la nicotine ne sont pas classés parmi

les substances cancérigènes. Toutefois, concernant la nicotine,

une étude faite in vitro sur des lignées cellulaires de cancers des

VADS a montré qu’elle pourrait être impliquée dans l’altération

du mécanisme d’apoptose [18]. Ce travail n’a jamais été

confirmé par d’autres études.

Le risque de cancer croît avec l’intensité et l’ancienneté du

tabagisme, avec une relation « dose-effet ». Le seuil critique se

situerait à 20 paquets-années, ce qui correspond à une

consommation d’un paquet de cigarettes par jour pendant

20 ans. Outre la consommation et l’ancienneté du tabagisme,

d’autres facteurs entrent en jeu :

l’inhalation de la fume´ e, qui augmente le risque [19] ;

la longueur du me´ got, car c’est dans le me´ got re´ duit que

s’accumule le plus de substances toxiques ;

le filtre dont le roˆ le reste controverse´ , diminuant le risque pour

certains auteurs, ne changeant rien pour d’autres [19] ;

le type de tabac, le tabac brun e´ tant plus toxique [20].

La cigarette est plus toxique que le cigare car celui-ci ne

comporte pas de papier, ce qui engendre une température

de combustion moins élevée et donc une production de particules

moins importante ; il en est de même pour la pipe [19]. Le

tabagisme passif a été mis en cause dès le début des années

1980, le risque cancérigène pour un conjoint non fumeur étant

de 3 par rapport à un sujet témoin non exposé [7].

La poursuite de l’intoxication tabagique après guérison d’un

premier cancer facilite l’apparition d’un second cancer des

VADS. Dès le début des années 1980, Silvermann et al. avaient

montré que la fréquence d’apparition d’un second cancer était

de 18 % chez le sujet ayant arrêté de fumer et de 30 % en cas

de poursuite de l’intoxication tabagique [21] (grade C).

On parle de facteurs de risque génétique lorsqu’un individu est

génétiquement prédisposé à la maladie cancéreuse ou plus

susceptible de développer un cancer après exposition à un

agent cancérigène. Pendant très longtemps, la notion de facteurs

de risque génétiques et cancers des VADS était un sujet

polémique. Plusieurs études ont suggéré l’existence d’une

« susceptibilité » individuelle aux carcinomes des VADS [22].

La notion de sujets « prédisposés » à développer un carcinome

des VADS repose, entre autres, sur le rapport des CDC (US

Centers for Disease Control) stipulant que sur les 46 millions de

fumeurs américains, seulement 40 000 à 50 000 développaient

chaque année un carcinome des VADS, soit moins d’un sujet

fumeur sur 1000 [23].

Le métabolisme des carcinogènes du tabac et les systèmes de

réparation des lésions de l’ADN sont 2 mécanismes dont on

connaît des différences d’activité d’origine héréditaire, pouvant,

au moins partiellement expliquer une variabilité de

sensibilité des individus aux méfaits du tabac.

Néanmoins la notion de cancers des VADS familiaux n’est

actuellement pas admise.

Génétique et métabolisation des carcinogènes du tabac

Au niveau de l’organisme, les carcinogènes du tabac sont

métabolisés par des enzymes dont le rôle majeur est leur

élimination. Certains des gènes codant pour ces enzymes ont

un polymorphisme. Pour un individu, hériter d’une enzyme à

activité réduite peut conduire à une accumulation excessive de

toxiques et à une diminution des capacités de détoxification.

Des études épidémiologiques ont été menées afin d’identifier,

parmi les polymorphismes des gènes impliqués dans le métabolisme

des carcinogènes du tabac, ceux pouvant constituer

des facteurs de risque pour les carcinomes des VADS [24]. Les

glutathions-S-transférases (GST) forment une famille d’isoenzymes

qui catalysent la conjugaison du gluthation sur des

substrats électrophiles. Ce sont des enzymes qui ont un rôle

majeur dans la détoxification de nombreux composés.

Dans la population caucasienne, 2 génotypes homozygotes nuls

de GSTM1 et GSTT1 sont détectés chez respectivement 40 et

15 % des sujets. Dans les 2 cas, il s’agit d’une double délétion

du gène avec comme conséquence une absence totale d’enzyme.

La double délétion de GSTM1 [25] et l’association des 2

génotypes homozygotes nuls de GSTM1 et GSTT1 augmentent

le risque de carcinome des VADS [26].

Les cytochromes P450 forment une famille d’enzymes qui

intervient également dans le métabolisme de nombreux toxiques.

Parmi eux, rappelons les cytochromes P450 1A1

(=CYP1A1 MspI) et 2E1 (=CYP2E1 PstI) qui métabolisent le

B(a)P en B(a)P-diol-époxide [25]. Il est décrit chez certains

sujets une hyperactivité du CYP1A1 associée à une augmentation

des adduits du B(a)P sur l’ADN et une augmentation

du risque de cancer du larynx et de la cavité buccale chez

les fumeurs [15]. Il a été montré que l’association d’une

hyperactivité du CYP1A1 et du génotype GSTM1 nul constituait

un risque multiplicatif pour les carcinomes des VADS [25].

Génétique et réparation de l’ADN

De nombreux systèmes de réparation permettent le maintien

de l’intégrité du génome et les altérations subies par la

molécule d’ADN peuvent être réparées. Les carcinogènes du

tabac étant à l’origine de dommages sur l’ADN, il est concevable

qu’une variabilité des systèmes de réparation entraîne

chez le fumeur une variabilité du risque de cancer.

Deux tests de sensibilité à des agents mutagènes ont été mis au

point à partir de cultures in vitro de lymphocytes circulants :

un test direct de re´ activation cellulaire en utilisant un « ge` ne

reporter » alte´ re´ par le benzo(a)pyre` ne-diol-e´ poxide (BPDE)

[27] ;

un test indirect qui e´ value la sensibilite´ de la cellule aux

mutage` nes [28], dans lequel sont comptabilise´ es les cassures au

niveau de la chromatine apre` s exposition a` un cytotoxique

(ble´ omycine) ou au BPDE.

Ces tests effectués sur des patients ayant un carcinome des

VADS et sur des patients témoins fumeurs (appariés sur la

consommation de tabac) mais indemnes de cancer, ont montré

qu’il existait un nombre de sujets ayant une sensibilité aux

carcinogènes et un défaut de réparation de l’ADN significativement

plus élevé dans le groupe des sujets porteurs d’un

carcinome des VADS. Les altérations des systèmes de réparation

de l’ADN peuvent être constitutionnelles ou acquises. Des

altérations constitutionnelles pour 2 gènes spécifiques de la

réparation de l’ADN ont été documentées pour les carcinomes

des VADS. Il s’agit des gènes XRCC1 et hMLH1. XRCC1 intervient

dans la réparation des cassures double brin de l’ADN. hMLH1

intervient dans la correction des discordances qu’il peut exister

dans la séquence des nucléotides entre les 2 brins d’ADN ; son

dysfonctionnement favorise l’apparition d’instabilités microsatellitaires,

elles-mêmes favorisant une instabilité génomique.

La présence de 2 polymorphismes de XRCC1 (XRCC1 26304 CC et

28152 AA) ou la baisse d’expression constitutionnelle de

hMLH1 sont associées à un risque accru de carcinomes des

VADS [29,30].

D’autres anomalies sont acquises lors de la cancérogenèse. Ces

anomalies peuvent favoriser, en retour, l’accumulation progressive

d’anomalies impliquées dans le développement du

cancer. L’interactivité qui existe entre les mécanismes de la

cancérogenèse et les mécanismes susceptibles de les contrer

crée les conditions propices au bouleversement complet de

l’homéostasie cellulaire.

Sous l’effet conjoint du tabac et de l’alcool vont s’accumuler, au

sein des cellules exposées, des radicaux libres, dont le benzo

(a) pyrène-diol-époxide à l’origine de l’altération, par oxydation,

des nucléotides constitutifs de l’ADN [31]. Une vingtaine

d’altérations de ce type ont été répertoriées dans les carcinomes

des VADS, dont la plus fréquente est la 8-oxo-guanine

[17]. En cas d’absence de réparation de la 8-oxo-guanine, celleci

peut être remplacée par une adénine favorisant la transversion

G :C ! T : A ; ce type de mutation est une des plus

fréquentes relevées au niveau de TP53 [32]. Le gène hOGG1

(human 8-oxo-Guanine DNA glycosylase 1) code pour une

protéine capable de transformer la 8-oxo-guanine en

guanine ; ce gène est localisé sur le bras court du chromosome

3 en 3p26.2, une région fréquemment délétée dans les carcinomes

des VADS et ce, à un stade très précoce de la carcinogenèse

[17]. Il n’y a aucune mutation identifiée pour le gène

hOGG1 [33,34] et donc, contrairement à ce qui est habituellement

le cas lors de perte d’hétérozygotie, l’inactivation de

l’allèle correspondant ne l’est pas par mutation. Des études

complémentaires concernant les mécanismes d’inactivation

d’hOGG1 dans les carcinomes des VADS sont donc nécessaires.

Une des axes de recherche est la mise en évidence d’anomalies

épigénétiques, en particulier la méthylation de la région promotrice

de ce gène [35].

En somme, le gène hOGG1 peut être considéré comme un gène

important dans les processus de réparation de l’ADN des

carcinomes des VADS, mais également comme un gène protecteur

de la muqueuse des VADS contre les effets des radicaux

libres accumulés sous l’effet, entre autres, de l’intoxication

alcoolotabagique.

Un autre gène important dans la réparation de l’ADN est le O6-

méthylguanine DNA méthyltransférase (MGMT). MGMT code

pour une protéine capable de transformer l’O6- méthyl (alkyl)

guanine, un des 13 nucléotides modifiés induits par les nitrosamines

contenues dans la fumée de tabac, en guanine. Si elle

est non réparée, l’O6-méthyl (alkyl) guanine peut être remplacée

par une thymine favorisant la transition G :C!T :A [17].

Ce type de mutation ponctuelle, similaire à la transversion G :C

en T :A, est fréquemment relevé au niveau de TP53 dans les

carcinomes des VADS. Un des mécanismes principaux d’inactivation

de MGMT est la méthylation de la région promotrice de

ce gène.

hMLH1 est un gène important dans le contrôle de la stabilité du

génome en empêchant l’apparition d’instabilités microsatellitaires.

Les mécanismes d’inactivation de ce gène dans les

carcinomes des VADS sont encore mal définis. Il est probable

que l’hyperméthylation de la région promotrice de ce gène soit

un mécanisme important.

Alcool

La consommation d’alcool est très élevée en France par rapport

aux autres pays de la Communauté Européenne. Elle a baissé

régulièrement depuis 40 ans, alors qu’elle a augmenté dans les

autres pays. L’enquête la plus récente sur la consommation

d’alcool en France est une enquête téléphonique, auprès de

30514 personnes âgées de 12 à 75 ans, analysant le nombre de

verres d’alcool bus par jour, quel que soit le type d’alcool [36].

Ce travail fait apparaître que seulement 17 % de la population

étudiée déclarait ne pas avoir consommé d’alcool au décours

des 12 derniers mois et que les hommes représentaient 70 %

de la population des buveurs. Parmi les buveurs, cette enquête

a mis en évidence 3 sous-groupes :

les petits buveurs (moins de 3 verres/24 h) ;

les moyens buveurs (3 a` 5 verres/24 h) ;

les gros et les tre` s gros buveurs (>5 verres/24 h).

Chacun des groupes représentant respectivement 60, 27 et

13 % de la population interrogée.

La plupart des études n’ont pas mis en évidence d’augmentation

du risque de morbidité pour une consommation d’alcool

<2 verres par jour. Le risque de survenue d’un cancer des VADS

augmente dès lors que la consommation d’alcool devient >2

verres par jour [37]. Enfin, à partir d’une consommation >5

verres, le risque de survenue d’un cancer des VADS est doublé

par rapport aux non-buveurs [37], le risque augmentant régulièrement

avec la dose d’alcool pur contenu dans les boissons

alcoolisées, sans effet de seuil [38,39]. Le risque de cancer des

VADS est indépendant du type de boisson consommé [40].

L’alcool seul, à la différence du tabac, ne provoque pas de

cancer chez l’animal, même si certains cancérigènes comme les

nitrosamines sont retrouvés dans des boissons alcoolisées,

notamment la bière. Le mécanisme exact par lequel l’alcool

provoque une transformation maligne des cellules épithéliales

des VADS n’est pas élucidé [41]. Néanmoins, on lui attribue

comme rôles :

celui de solvant des carcinoge` nes re´ sultants de la combustion

du tabac, favorisant leur passage transmuqueux ;

de diminuer la protection muqueuse par la salive par le biais

de l’irritation locale provoque´ e par l’e´ thanol ;

de favoriser une atrophie muqueuse [40] ;

d’activer les cytochromes P450 1A1 et donc de favoriser la

transformation de procarcinoge` nes contenus dans la fume´e de

tabac en carcinoge` nes actifs [42] ;

d’induire des de´ ficiences nutritionnelles avec hypovitaminoses,

vitamines A et C en particulier, qui facilitent l’e´ mergence

des cancers d’une fac ¸

on ge´ ne´ rale, par de´ ficit en antioxydants ;

d’induire au niveau de la muqueuse, par le biais de son

me´ tabolisme, la production d’ace´ talde´ hyde qui est un me´ tabolite

carcinoge` ne [40].

Concernant le dernier point il a été montré que le déficit de 2

enzymes impliquées dans le métabolisme de l’acétaldéhyde

(ADH alcool-déshydrogénase et alDH aldéhyde-déshydrogénase),

conséquence d’un polymorphisme génétique, augmentait

le risque de cancer des VADS [40].

L’intoxication tabagique et l’imprégnation éthylique sont souvent

associées, et leurs effets sur le risque de cancer des VADS

sont multiplicatifs [43]. Cet effet synergique entre les 2 toxiques

est connu depuis les travaux de Rothman et Keller [44]

dans les années 1970. Dans cette étude, si le risque relatif (RR)

était de 1 chez les « non-buveurs, non-fumeurs », il s’élevait à

2,33 chez les « grands-fumeurs, non-buveurs », à 2,43 chez les


« grands-buveurs, non-fumeurs », et à 15,5 chez les « grandsbuveurs,

grands-fumeurs ». Ces résultats ont été confirmés par

les travaux de Tuyns et al. [45] (grade C) à la fin des années

1980.

En termes de localisations, plusieurs études ont mis en évidence

que les 3 localisations les plus fréquentes parmi les

cancers des VADS en cas d’intoxication alcoolique étaient :

la cavite´ buccale ;

l’oropharynx ;

l’hypopharynx.

Dans une étude menée par l’Institut Curie à la fin des années

1980, si le RR était de 1 chez les buveurs de moins de 40 g

d’alcool/24 h, il s’élevait chez les buveurs de 160 g et plus à

67,8 pour le larynx, 88,7 pour l’oropharynx, 257.,5 pour l’hypopharynx

et 579 pour la cavité buccale [46]. Le risque particulièrement

élevé en ce qui concerne la cavité buccale a été

confirmé [47].

Autres facteurs de risque

Facteurs viraux

Le rôle des virus dans la genèse des cancers des VADS reste

incertain. Il n’y a pas de preuve de la relation causale entre ces

cancers et les adénovirus, les cytomégalovirus, le virus varicelle-

zona (VZV), le virus herpétique humain 6 (HHV-6). En

revanche, d’autre virus sont incriminés. Ce sont les virus de la

famille des Human Papilloma Virus (HPV) [48,49].

Une étude épidémiologique rétrospective portant sur 292

patients atteints d’un carcinome des VADS et 1568 sujets

témoins a montré, par détermination de la séropositivité

HPV-16, que le risque était significativement associé à l’infection

par l’HPV16 (RR = 2,2) ; dans cette étude, les auteurs ont

montré que le risque était dépendant du site anatomique, avec

un niveau particulièrement élevé dans les cas de tumeurs de

l’amygdale (RR = 10,2) et de la base de langue (RR = 20.7), par

rapport aux autres localisations [15]. D’autres études ont

montré la présence de particules virales en plus grande quantité,

50%en moyenne, dans les tumeurs de la cavité buccale et

de l’oropharynx, par rapport à la muqueuse normale et ce, qu’il

y ait ou non intoxication alcoolotabagique [48,50]. C’est ainsi

que Smith et al. ont montré l’intérêt de rechercher l’HPV dans

les cellules épithéliales de la cavité buccale collectées par

brossage, pour l’identification des patients à risque de développer

un carcinome épidermoïde, indépendamment du degré

d’intoxication alcoolotabagique [51].

En revanche pour les tumeurs du larynx, alors que la papillomatose

laryngée est liée à l’infection par HPV, le risque de

dégénérescence est faible et semble plus lié à une intoxication

tabagique concomitante [52].

Deux types d’HPV sont carcinogènes : les HPV 16 et 18. Pour

certains auteurs, ils agiraient en entraînant soit une mutation

de TP53, soit une inactivation des protéines p53 et Rb par

l’intermédiaire de 2 oncoprotéines virales E6 et E7 [53]. Pour

d’autres auteurs, ils n’interviendraient que comme cocarcinogènes

[54].

Même si les études ne sont pas unanimes quant à la participation

de l’HPV dans la cancérogenèse des carcinomes des VADS,

il est vraisemblable que cet agent infectieux rende compte

d’une partie des carcinomes des VADS diagnostiqués chez les

patients n’ayant pas d’intoxication alcoolotabagique (5 à 10 %

en fonction des études) [40].

Cannabis

Déjà signalée par Almadori [55] en 1990 en Italie, la consommation

de marijuana fait actuellement l’objet d’études aux

États-Unis pour expliquer l’augmentation des cas chez les

adultes de moins de 40 ans atteints de cancer des VADS, en

particulier de la langue mobile [7]. Ces études épidémiologiques

sont appuyées par des données expérimentales sur des

modèles animaux [56].

Le risque de développer un cancer des VADS avec la marijuana

est dose-dépendant (fréquence et durée de l’intoxication) [57].

Par ailleurs, il existe souvent une consommation de tabac et

d’alcool simultanée, ce qui rend difficile la détermination du

rôle respectif de chacun des toxiques. Des études épidémiologiques

avec des analyses statistiques multivariées sont donc

nécessaires.

État dentaire

Il est habituel de souligner le mauvais état dentaire des

patients pris en charge pour un cancer des VADS. Toutefois il

est difficile de faire la part entre ce qui pourrait être le reflet

d’un contexte socioculturel et ce qui serait un agent causal

incontestable. Nous pouvons malgré tout supposer que les

traumatismes dentaires répétés sur des chicots dentaires, les

modifications du pH salivaire engendrées par une infection

chronique peuvent avoir un rôle, au moins comme cofacteurs,

dans la genèse de ces cancers [58] (grade C).

Seule une étude chinoise a conclu qu’un mauvais état dentaire

pouvait être un facteur de risque indépendant pour les cancers

de la cavité buccale [59] (grade C). Toutefois, la plupart des

études tendent à montrer que l’impact de l’alcoolotabagisme

prévaut largement sur le contexte dentaire ou prothétique

dentaire.

Facteurs nutritionnels

Un cas particulier mérite d’être individualisé, celui du syndrome

de Plummer-Vinson ou Kelly Patterson, décrit simultanément

et respectivement aux États-Unis et en Grande-

Bretagne [7]. Il s’agit d’un syndrome associant une anémie

sidéropénique et une atrophie des muqueuses digestives,

retrouvé dans 50 à 90 % des cas de cancers de la région

du rétrocricoïde (sous-localisation hypopharyngée), notamment

chez la femme, et ce en dehors de toute exogénose.

L’amélioration de la diététique avec l’apport de fer dans




l’alimentation a fait chuter radicalement la fréquence de ce

syndrome et de ce type de cancer [60].

Les carences vitaminiques, notamment en vitamines A [61] et C

[62], liées à une alimentation mal équilibrée faciliteraient

l’éclosion des cancers d’une façon générale par l’intermédiaire

d’une accumulation de radicaux libres [63]. La moindre incidence

des cancers en cas d’alimentation riche en légumes et en

fruits est incontestable ; c’est ainsi que le risque de cancer de

l’oropharynx et de l’hypopharynx est 3 à 5 fois moindre selon

l’importance relative de ce type d’aliments [4]. L’alimentation

mal équilibrée avec un excès de consommation de graisses

d’origine animale, qui caractérise les patients ayant un cancer

des VADS, pourrait être l’expression d’un contexte socioéconomique,

ou la traduction des désordres générés par l’alcoolisme

autant que d’être de réels facteurs épidémiologiques ; la valeur

statistique de leur association au risque de cancer diminue

notablement lorsque les données sont ajustées sur le tabac et

l’alcool [64] (grade C).

En raison de l’implication probable de carences vitaminiques

dans la cancérogenèse des cancers des VADS, des essais

thérapeutiques basés sur l’administration de dérivés de la

vitamine A ont été réalisés. Mackerras et al. ont montré que

la prise de bêtacarotène pouvait diminuer le nombre de cancers

des VADS [65] (grade C). Dans une première étude, Hong et al.

avaient montré que l’administration d’un dérivé de la vitamine

A, l’isotrétinoïne, pouvait prévenir l’apparition d’un second

cancer, chez les patients ayant déjà eu un cancer des VADS

[66] (grade B) ; ces résultats ont été infirmés par la même

équipe [67] (grade A), dans une étude randomisée de phase III

ayant inclus plus de 1000 patients. Dans le groupe de patients

ayant reçu 30 mg/24 h d’isotrétinoïne, l’apparition de seconds

cancers n’était pas significativement diminuée par rapport au

groupe n’ayant pas reçu de traitement. Ces résultats sont en

accord avec une étude française du GETTEC (Groupe d’étude de

tumeurs de la tête et du cou) [68] (grade B), qui avait montré

l’absence de bénéfice de l’administration d’un rétinoïde pour

prévenir l’apparition d’un second cancer.

Immunodépression

Dans la population des patients infectés par le VIH (virus de

l’immunodéficience humaine), le taux de cancers, toutes localisations

confondues, a tendance à augmenter ; les cancers des

VADS n’échappent pas à cette évolution épidémiologique [69].

Plusieurs explications sont possibles :

l’augmentation de la longe´ vite´ lie´ e aux traitements

antiviraux ;

l’immunode´ pression qui favorise l’apparition de le´ sions

pre´ ne´ oplasiques susceptibles de de´ ge´ ne´ rer en cancer, comme

cela avait e´ te´ de´ montre´ de` s la fin des anne´ es 1980 [70] ;

la fre´ quence e´ leve´ e de l’intoxication alccolotabagique et

l’addiction pour les stupe´ fiants, dont le cannabis, pour une part

des patients infecte´ s.

Facteurs professionnels

Les facteurs professionnels sont difficiles à apprécier, car souvent

étudiés dans des populations de patients ayant un cancer

des VADS, rarement dans des études cas-témoins. Il est difficile

de faire la part des choses entre l’intoxication alcoolotabagique

et l’exposition à un éventuel toxique, ce d’autant que les

patients sont le plus souvent incapables de préciser à quelle

exposition ils sont soumis, du fait d’activités multiples avec des

postes de travail variables. Le facteur « temps » est également

à prendre en compte. Les études toxicologiques étant souvent

rétrospectives, le facteur temps est difficile à évaluer. C’est dire

qu’il faut prendre avec beaucoup de précautions les données

sur les expositions professionnelles dans ce type de cancers.

Quelques études ont observé un rôle pathogène à certaines

expositions comme les métaux, en particulier le nickel [71], les

polyvinyles [72], les vapeurs de diesel [73], les aérosols d’huile

[74] et enfin l’amiante [75]. Bien connue pour être la cause de

nombreux cancers du poumon et de la plèvre, l’amiante est

donné, dans les travaux de Muscat, comme facteur d’une

élévation modérée mais non significative de la fréquence

des cancers des VADS ; en revanche, il est prouvé que l’exposition

augmente le risque chez le sujet tabagique [76] (grade

C).

Il ressort de notre analyse de la littérature que :

l’essentiel des publications cliniques et fondamentales portait

sur le tabac et l’alcool ;

pour les autres facteurs de risques identifie´ s, les publications

e´ taient anciennes, en particulier en ce qui concerne les facteurs

nutritionnels et professionnels ;

la plupart des publications cliniques avaient un faible niveau

de preuve scientifique (grade C, niveaux 3 et 4).

Discussion

L’analyse des résultats traduit le retard qui a été pris en ce qui

concerne l’analyse des facteurs de risque des cancers des

VADS ; ils soulignent la nécessité de combler ce retard par le

biais d’études incluant un grand nombre de patients, de façon

prospective, en ayant recours à des analyses statistiques approfondies

multivariées et ce, dans le but de faire ressortir

l’impact de chacun des toxiques sur l’incidence des cancers des

VADS. Cela suppose une prise de conscience de la part de

l’ensemble des médecins qui prennent en charge ce type de

cancer, en particulier les spécialistes d’organes que sont les

otorhinolaryngologistes et les chirurgiens maxillofaciaux, de la

nécessité de rechercher par l’interrogatoire d’autres facteurs de

risque que le tabac et l’alcool.

Ceci suppose également une collaboration entre ces spécialistes

d’organes mais également les médecins généralistes, les

épidémiologistes, les nutritionnistes et les médecins du travail.

À l’heure actuelle, ce type de collaboration n’est pas optimal, du

moins en France. Or il est impératif de colliger un maximum de

données sur les facteurs de risques potentiels, tout particulièrement

chez les patients non alcoolotabagiques qui semblent

représenter une part de plus en plus importante des patients

traités, au delà des 5 % rapportés habituellement dans la

littérature [24,38]. Malheureusement nous ne disposons pas

de chiffres précis et récents concernant le pourcentage exact

que représente ce groupe de patients, que ce soit en France ou

dans les autres pays. Il est d’ailleurs fort probable que les

facteurs environnementaux (nutrition, expositions professionnelles)

et les facteurs viraux ont été largement sous-estimés

jusqu’à présent, pouvant expliquer en partie l’augmentation

des cancers des VADS chez cette catégorie d’individus. En

France, les registres du cancer regroupés dans le réseau Francim

ont sans nul doute un rôle essentiel à jouer dans la

coordination des différents intervenants que nous venons de

citer et dans la centralisation des données épidémiologiques.

En identifiant de nouveaux facteurs de risques potentiels, il sera

alors possible d’agir en prévention primaire et de contribuer à

faire diminuer la fréquence et la mortalité par cancer des VADS.

Les campagnes d’information et de lutte contre l’alcoolisme et

le tabagisme en France illustrent parfaitement l’impact possible

sur la prévention primaire de ce type de cancer.

La consommation d’alcool diminue régulièrement en France

depuis les années 1950. Cette consommation continue de

diminuer ; ainsi, avec 3,4 L d’alcool pur par habitant consommés

en 2005, elle ne représente qu’1/3 de la consommation de

2003 estimée à 9,3 L d’alcool pur [36]. Une telle réduction de la

consommation en un espace de temps aussi court demande à

être vérifiée. En effet, plusieurs points doivent rendre prudente

l’analyse des données recueillies lors de l’enquête téléphonique

menée en 2005 :

les personnes interroge´ es ont tendance a` sous-estimer leur

consommation re´ elle ;

les chiffres obtenus en 2003 l’ont e´ te´ a` partir des quantite´ s

de´ clare´ es d’alcool vendu en France et non a` partir d’une enqueˆ te

te´ le´ phonique.

Toutefois on peut y voir le résultat des campagnes de prévention

que ce soit à la télévision, dans la presse écrite (médicale

ou non), dans les campagnes d’affichages depuis le milieu des

années 1990. Cette diminution de la consommation a eu un

effet bénéfique sur la mortalité masculine par cancer de la

cavité buccale, du pharynx et du larynx (figure 2). Les comportements

se sont également modifiés avec un renforcement

de la notion de plaisir associé à la consommation d’alcool. Ainsi,

la consommation moyenne annuelle double entre les tranches

d’âge 20–25 ans et 65–75 ans ; s’ils sont relativement peu

nombreux à consommer de l’alcool quotidiennement, les

jeunes ont plus fréquemment des comportements d’ivresse

que leurs aînés avec au moins 48,3 % des hommes et 20 % des

femmes de 20 à 25 ans buveurs avouant avoir eu au moins une

ivresse au cours des 12 derniers mois [36]. L’impact de cette

alcoolisation massive et sévère, rencontrée principalement le



Figure 2 
Évolution de la mortalité par cancer des VADS en France depuis 
1950 (d’après Hill [39])


week-end, est encore mal défini d’une façon générale et

encore moins pour les cancers des VADS.

La mortalité observée en 1995 (figure 2) est la conséquence

d’habitudes prises 20 à 50 ans auparavant. Nous sommes donc

en train d’observer la fin des conséquences des comportements

des années 1940 et le début de celles des comportements des

années 1970. Ainsi pour le tabac, la consommation ayant

augmenté jusqu’en 1975 (figure 3), le nombre de cancers

de la cavité buccale du pharynx et du larynx va continuer à475



Figure 3 
Évolution des ventes et du prix de tabac en France (d’après Hill 
[39]). Sources : Dominique Dubeaux, Insee, pour le prix et 
Monique Padioleau, Seita, pour les ventes. Les prix sont relatifs, 
base 100 en 1970, le tabac est exprimé en grammes par adulte et 
par jour

augmenter au moins jusqu’en 2020. L’augmentation sera particulièrement

importante chez les femmes qui fumaient encore

très peu à la fin des années 1980, à l’exception des femmes

jeunes [38]. Ceci explique que l’augmentation des cancers liés

au tabac, qu’ils soient pulmonaires ou des VADS, a à peine

débuté en France dans la population féminine. Comme le

démontre très bien la figure 3, la consommation de tabac,

en particulier des cigarettes, est inversement proportionnelle

au prix. Il est probable que les très fortes hausses de prix

constatées depuis le début les années 2000 ont et auront des

conséquences en termes de consommation, même si nous ne

disposons pas encore de chiffres précis à ce sujet. Si cette

tendance se poursuit, l’impact sur la mortalité par cancer des

VADS sera différé dans le temps.

Conclusion

Comme nous venons de le voir, les facteurs de risque des

cancers des VADS sont très nombreux. Ceci implique que

l’interrogatoire des patients atteints par ce type de cancer soit

très approfondi en particulier chez les patients ne présentant

pas d’intoxication alcoolotabagique, mais également chez les

autres patients car les effets connus du tabac et de l’alcool

peuvent être amplifiés et aggravés par d’autres facteurs qu’ils

soient infectieux (virus) ou environnementaux (nutrition, facteurs

professionnels). En ce qui concerne le tabac et l’alcool, le

bilan qui vient d’être présenté souligne l’importance de la

prévention en convaincant l’ensemble de la population française

d’arrêter de fumer et de réduire sa consommation

d’alcool à 1 à 2 verres par jour, sans dépasser 3 verres. Si

les consommations de tabac et d’alcool continuent à diminuer,

la réduction de mortalité par cancers de la cavité buccale, du

pharynx et du larynx, commencée au milieu des années 1970,

se poursuivra. Enfin, la collaboration entre les médecins prenant

en charge ce type de cancer, les épidémiologistes, les

nutritionnistes et les médecins du travail est absolument

nécessaire pour avancer dans l’identification de nouveaux

toxiques autres que le tabac et l’alcool.

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