La physiologie du bas appareil urinaire de l’homme
1. Les bases de la physiologie
vésico-sphinctérienne
1.1. La myo-architecture
vésico-sphinctérienne
L’environnement anatomique, principalement les
formations musculo-ligamentaires, qui suspendent
et soutiennent les visceres pelviens, jouent
un role fonctionnel beaucoup plus accessoire chez
l’homme que chez la femme. Le perinee masculin
est une structure solide, verrouillee par le bloc
prostatique, et donc a l’abri des prolapsus pelviens
et de leurs consequences fonctionnelles. La
myo-architecture de la vessie et de l’uretre, c’esta-
dire la disposition et l’orientation des faisceaux
musculaires lisses et stries propres a ces deux organes,
n’est pas le fait du hasard et doit bien repondre
a une fi nalite fonctionnelle… si tant est
que l’obsession d’une telle fi nalite n’ait pas inspire
leur description (fi g. 1). Les theories ≪ mecanicistes
≫, a la mode il y a une quarantaine d’annees,
lui attribuaient une place preponderante dans les
mecanismes de continence et de miction ; elles
reposaient sur le concept d’une innervation exclusivement
cholinergique de toutes les fi bres musculaires
lisses vesico-cervico-uretrales. Ce concept
est revolu, depuis qu’on a decouvert la complexite
du systeme nerveux autonome et de sa neuromediation
pharmacologique. Le schema anatomique
devrait y gagner en simplicite.
1.1.1. La vessie
La vessie, faite exclusivement de fi bres musculaires
lisses, comporte deux portions :
– Le dome vesical ou ≪ detrusor ≫, souple, mobile,
expansif, est la partie reservoir chargee du
stockage et de l’expulsion des urines. Les fi bres
musculaires y sont classiquement disposees en
trois couches : deux longitudinales (interne et
externe), et une circulaire (moyenne) (2). Cette
apparence n’est qu’un trompe-l’oeil : la meme
fi bre peut participer a la constitution de chacune
de ces couches pour realiser fi nalement une
structure plexiforme bien adaptee a la fonction
expulsive du detrusor.
– La base vesicale, fi xe et compacte du fait de
l’abondance de la composante conjonctive, est
la partie ou s’ouvrent les ureteres et l’uretre. Au
repos, elle a la forme d’un disque horizontal
plus etendu en arriere qu’en avant du col. Les
fi bres musculaires circulaires disposees en anneaux
concentriques en forment la charpente.
1.1.2. L’urètre
Le col et l’uretre posterieur comprennent des fi -
bres musculaires lisses et striees qui constituent le
dispositif sphincterien de la vessie.
– Les fi bres musculaires lisses sont classiquement
disposees en deux couches : une couche interne
de fi bres longitudinales, dont la fonction serait
d’ouvrir le col et de raccourcir l’uretre pendant
la miction, et une couche externe de fi bres circulaires
ou obliques dont la fonction est d’occlure
la lumiere cervico-uretrale pour preserver
la continence urinaire et l’ejaculation. Considerees
comme un authentique ≪sphincter lisse
≫, autonome, dans les descriptions des anatomistes
allemands du debut du xxe siecle, elles
furent ensuite decrites comme le prolongement
des fi bres detrusoriennes, organisees en frondes
opposees cravatant obliquement le col (3).
Chez l’homme, la prostate renferme un grand
nombre de fi bres musculaires lisses qui representent
jusqu’a 50 % du poids de l’organe ;
sans etre organisees en une structure sphincterienne,
elles participent, par leur tonus, a l’occlusion
de l’uretre.
– Les fi bres musculaires striees sont formees de
deux composantes, diff erentes par leur origine,
leur structure et peut-etre aussi leur innervation
et leur fonction (4) :
– L’une para-uretrale, au contact et dans la paroi
meme de l’uretre ; la prostate, au cours de son
developpement pubertaire, absorbe les fi bres
les plus hautes et refoule les autres vers le bas,
ou elles forment autour de l’uretre membraneux
un manchon, tandis que quelques fi bres
s’etalent sur les faces anterieures et laterales de
l’apex prostatique. Cette portion est faite de fi -
bres a contractions lentes (type 1), petites, depourvues
de fuseaux et de cloisons septales (5),
qui maintiennent une activite tonique.
– L’autre peri-uretrale, appartenant aux muscles
du plancher pelvien. Cette portion est faite de
fi bres a contractions rapides (type 2) capables
de produire une compression rapide et breve,
volontaire ou refl exe de l’uretre. Sa contraction
volontaire permet aux sujets prostatectomises
et incontinents d’interrompre leur miction ou
de retenir un besoin.
1.2. Voies et centres nerveux
L’experimentation animale, entreprise chez le
chat, il y a pres d’un siecle (6), et l’observation
clinique, notamment de l’homme spinal, ont permis
de localiser les centres et les voies impliques
dans le fonctionnement vesico-sphincterien. Les
principaux centres sont indiques sur la fi gure 2,
les voies peripheriques sur la fi gure 3.
1.2.1. L’innervation somatique
Elle concerne le sphincter strie de l’uretre, les
muscles du diaphragme pelvien et du perinee. Le
centre medullaire est dans le noyau d’Onuf, a la
base de la corne anterieure de S2 a S4, directement
relie au centre frontal (aire somato-motrice,
dans le gyrus precentral), par la voie pyramidale,
en particulier son faisceau cortico-spinal lateral
(ou faisceau pyramidal croise).
Les neurones traversent le plexus pudendal (ou
honteux) et forment le contingent moteur du
nerf pudendal (ou honteux interne). Ce dernier
contourne l’epine sciatique puis longe la paroi
laterale de la fosse ischio-rectale, dans un
Fig. 3 - Voies motrices périphériques (d’après Buzelin et coll.) |
Dedoublement de l’aponevrose de l’obturateur interne,
le canal d’Alcock, au contact du prolongement
falciforme du ligament sacro-tuberal.
1.2.2. L’innervation végétative
Elle concerne toute la musculature lisse de la vessie
et de l’uretre, et forme un systeme, structurellement
et pharmacologiquement, tres complexe.
Les centres medullaires et supramedullaires, relies
entre eux par le reseau multisynaptique du systeme
extrapyramidal, sont etages de haut en bas.
– Les centres corticaux, localises a la face interne
du lobe frontal et dans les structures
sous-jacentes du cortex archaique (systeme
limbique), interviennent respectivement dans
la commande volontaire et instinctive ou emotionnelle
du refl exe mictionnel.
– Les centres diencephaliques (noyaux gris centraux)
sont impliques dans les dysfonctionnements
vesicaux de la maladie de Parkinson.
– Les centres pontiques, dans la partie anterieure
de la protuberance annulaire, jouent un
role important dans le refl exe mictionnel de
l’adulte. Deux centres, fonctionnellement in-
dependants, ont ete identifi es (7) : un centre
M (median) ou centre mictionnel pontin dont
la stimulation declenche une miction refl exe,
et un centre L (lateral) ou centre de stockage
pontin dont la stimulation induit une forte
contraction sphincterienne et perineale (8).
– Les centres medullaires, dont les neurones occupent
la corne laterale de la moelle, se situent
a l’etage sacre (S2 a S4) pour le parasympathique,
a l’etage dorso-lombaire (D10 a L2) pour
le sympathique.
La voie peripherique des neurones vegetatifs est
caracterisee par la presence d’au moins une synapse
ganglionnaire. Les ganglions, situes generalement
(mais pas exclusivement) dans les plexus,
ne sont pas seulement des structures de transmission
et de diff usion permettant le contact entre
un neurone preganglionnaire et plusieurs neurones
postganglionnaires, mais aussi des structures
de controle mutuel et de coordination entre des
systemes antagonistes comme le sympathique et
le parasympathique.
– Les nerfs splanchniques, en provenance de la
moelle lombaire, descendent sur la face laterale
de l’aorte en formant une lame nerveuse plus ou
moins etalee et plexiforme : le nerf presacre ou
plexus hypogastrique superieur. Celui-ci donne,
de chaque cote, les nerfs hypogastriques qui rejoignent
le plexus hypogastrique inferieur.
– La reunion des 2e, 3e et 4e nerfs sacres et de
leurs branches anterieures forme le plexus honteux
d’ou sont issus (outre le nerf Pudendal)
les nerfs pelviens (ou erecteurs) qui gagnent le
plexus hypogastrique inferieur.
Schematiquement, les neurones sympathiques,
venus du centre dorso-lombaire, empruntent
donc le trajet des nerfs hypogastriques et synapsent
dans le plexus hypogastrique superieur, alors
que les neurones parasympathiques en provenance
du centre sacre empruntent le trajet des nerfs
pelviens et synapsent dans le plexus hypogastrique
inferieur. Il existe bien quelques exceptions a
ce schema ; mais dans l’ensemble on peut assimiler
les nerfs hypogastriques au sympathique, les
nerfs pelviens au parasympathique, et considerer
le plexus hypogastrique inferieur comme une
structure commune.
Le systeme ≪ nerveux autonome intrinseque ≫
regroupe toutes les structures nerveuses situees
au contact ou dans la paroi meme de la vessie et
de l’uretre, et qui echappent donc a la denervation
par section des troncs nerveux. Dans ce reseau,
structurellement et fonctionnellement tres
complexe, les neurones sont identifi es par leurs
neuromediateurs, c’est-a-dire, principalement, la
noradrenaline pour le sympathique et l’acetylcholine
pour le parasympathique. Des terminaisons
adrenergiques et cholinergiques sont retrouvees
en tout point de la vessie et de l’uretre, mais leur
densite et leur nature sont tres diff erentes selon
les regions :
– Le dome et la base sont richement innerves
au point qu’on a pense – sans doute abusivement
– a une innervation individuelle des
cellules lisses, caracteristique des muscles ≪directement
innerves≫ (9, 10). Il s’agit presque
exclusivement de terminaisons cholinergiques,
plus accessoirement de terminaisons adrenergiques
plus nombreuses dans la base que dans
le dome.
– Le col et surtout l’uretre sont pauvrement innerves
par des terminaisons cholinergiques et
adrenergiques (10, 11).
1.3. La médiation pharmacologique
La densite des terminaisons nerveuses, la nature
des neurotransmetteurs qu’elles liberent et la specifi
cite des recepteurs pharmacologiques pre et
postsynaptiques, sont les elements determinants
de la physiologie vesico-sphincterienne : ce sont
eux, plus que l’orientation supposee des fi bres
musculaires, qui realisent les conditions permettant
la continence ou la miction.
De nombreux neurotransmetteurs ont, a ce jour,
ete identifi es. Les premiers qui le furent, et qui
restent les plus importants, sont l’acetylcholine
(Ach) et la noradrenaline (Nad).
1.3.1. L’innervation cholinergique
et adrénergique (fi g. 4)
L’acetylcholine a un eff et excitateur sur la fi -
bre musculaire et la synapse interneuronale.
Synthetisee par les neurones preganglionnaires
sympathique et parasympathique, elle favorise
la transmission interneuronale en se liant a des
recepteurs nicotiniques. Cette action est bloquee
par un ganglioplegique. Synthetisee par le neurone
postganglionnaire du parasympathique et
par le motoneurone somatique, elle permet la
contraction des fi bres musculaires lisses et striees,
respectivement. La premiere est bloquee par un
antimuscarinique, comme l’atropine, la seconde
par le curare. A ce jour, 5 sous-types de recepteurs
muscariniques ont ete clones, certains facilitateurs
(M1 et M3), d’autres inhibiteurs (M2
et M4). Dans la vessie, seuls les recepteurs M3
interviennent normalement dans la contraction,
alors que les recepteurs M2, pourtant majoritaires
en nombre, n’interviennent qu’en cas de denervation
(12, 13).
La noradrenaline a une action plus complexe : la
reponse de la fi bre musculaire lisse a la noradrenaline
liberee par le neurone postganglionnaire
du sympathique depend de la nature du recepteur
: contraction pour les recepteurs α relaxation
pour les recepteurs s. Les premiers, (notamment
les recepteurs α1A (14), participent au maintien
d’un tonus actif du sphincter lisse, les seconds
(notamment les recepteurs s2) a la relaxation de
la vessie ainsi que du sphincter lisse de l’uretre.
1.3.2. L’innervation non cholinergique
et non adrénergique (NANC)
Les neurotransmetteurs non cholinergiques non
adrenergiques (NANC) sont nombreux et leur
mode d’action est complexe. En eff et, la plupart
interviennent, de facon ubiquitaire, a la fois sur
le systeme central et peripherique, sur la voie
aff erente et la voie eff erente, directement sur la
fi bre musculaire lisse ou indirectement, comme
cotransmetteurs ou modulateurs de l’acetylcholine
ou de la noradrenaline. La resultante motrice
peut etre une contraction ou une relaxation de
la fi bre musculaire selon la nature du transmetteur
et du recepteur. Dans la physiologie vesicale,
l’intervention des NANC, accessoire dans les
conditions normales, pourrait devenir importante
dans les situations pathologiques telles que
l’obstruction et l’hyperactivite ; l’eff et dominant
est alors plutot une contraction du detrusor.
Les purines, essentiellement l’ATP (Adenosine
Fig. 4 - Neurotransmetteurs et neurorécepteurs adrénergiques et cholinergiques (d’après Buzelin et coll.) (1) |
5’-triphosphate), agissent sur les recepteurs purinergiques
P1 et surtout P2, en particulier les
sous-types P2X1 (sur la cellule musculaire lisse)
et P2X3 (sur le neurone aff erent) (15).
– Les neuropeptides regroupent plusieurs groupes
de peptides dont :
– les tachychinines, qui agissent sur divers recepteurs
NK : substance P (NK1), neurokinine A
(NK2), neurokinine B (NK3) ;
– les enkephalines, principalement les endorphines,
qui agissent sur divers recepteurs opiaces
centraux et peripheriques : leucine-enkephaline,
methionine-enkephaline ;
– le neuropeptide gamma, la vasoactive intestinal
peptide (VIP), la calcitonine-gene-related Peptide
(CGRP), la bradikinine…
– Les autres neurotransmetteurs NANC :
- l’histamine agit sur divers recepteurs H, en
particulier H1 ;
- la serotonine ou 5 hydroxytryptamine
(5-HT) est un neuromediateur du systeme
nerveux central, qu’on retrouve dans les
centres medullaires et les ganglions spinaux ;
les prostaglandines, en particulier les PGI2,
PGE2 et PGF2, qui agissent respectivement
sur les recepteurs IP, EP et FP ;
le monoxyde d’azote (NO).
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