La physiologie du bas appareil urinaire de l’homme
L. Le Normand, J.-M. Buzelin
2. Physiologie de la continence
et de la miction
La vessie doit contenir sans faiblesse et expulser
sans eff ort les urines. Etre continent sans etre dysurique
est le resultat d’une evolution en sens inverse
des pressions dans la vessie et dans l’uretre
pendant les 2 phases : le remplissage et la miction
(fi g. 5).
La fonction vesico-sphincterienne est soumise a
un controle neurologique elabore a deux niveaux :
– un controle automatique, refl exe, qui regle l’alternance
des phases de remplissage et de miction
ainsi que la coordination vesico-sphincterienne ;
– un controle cerebral, volontaire, qui permet
d’ordonner ou de refuser le refl exe mictionnel.
2.1. La phase de remplissage
La vessie, en se remplissant, s’etale mollement
dans le petit bassin. La base vesicale est horizontale
; le col vesical est ferme et hermetique meme
lors des eff orts de toux. Le gradient de pression
uretro-vesical, largement positif, suffi t a maintenir
la continence (fi g. 5).
2.1.1. La continence urinaire au repos
La pression vesicale de remplissage reste basse,
ne depassant pas 15 cm d’eau pour un volume
de 300 ml. Cette capacite de stocker un grand
volume a basse pression, appelee ≪compliance≫,
est indispensable a la continence et surtout a
la protection du haut appareil urinaire. Elle est
determinee, presque exclusivement, par la nature
des materiaux composant la paroi vesicale,
c’est-a-dire un tissu biologique heterogene fait
de fi bres musculaires, conjonctives et elastiques.
Comme tout materiau, ce tissu oppose une resistance
a l’etirement comparable a celui des polymeres
vesicoelastiques, qui depend de la vitesse
de l’etirement, a savoir, pour la vessie, du debit
de remplissage (fi g. 6).
Fig. 5 - Modifi cations morphologiques et évolution des paramètres
urodynamiques (EMG du sphincter strié urétral, pression urétrale maximum [PU] et pression vésicale [PV]) pendant les phases de remplissage, prémictionnelle et mictionnelle (d’après Buzelin) (1). |
Les forces de retenue, c’est-a-dire la resistance
aux fuites, comprennent deux composantes :
– La pression uretrale, dont la valeur maximum
(60 a 80 cm d’eau), augmente au cours du remplissage
vesical et s’eff ondre en cours de miction.
Elle est determinee essentiellement par
le tonus des fi bres musculaires lisses et striees,
dans des proportions sensiblement egales.
La contribution des plexus vasculaires sousmuqueux
est accessoire, mais, par leur ≪mollesse
≫, ils jouent un role non negligeable de
joint d’etancheite qui optimise la compression
exercee par les sphincters (17).
– La resistance uretrale correspond aux forces passives
dependantes de la geometrie du col et de
l’uretre. Faible chez la femme, elle n’est pas negligeable
chez l’homme dont l’uretre est long et
entoure de tissus denses comme la prostate (18) ;
elle augmente avec l’age et le developpement de la
prostate, expliquant la grande diff erence dans la
prevalence de l’incontinence entre les deux sexes.
La phase de remplissage est sous le controle des
systemes sympathique et somatique qui contribuent
a relacher le detrusor et a contracter l’appareil
sphincterien (fi g. 7).
– La nature et la distribution des recepteurs adrenergiques
suggerent le role joue par le systeme
sympathique pendant la phase de remplissage :
relaxation du detrusor (recepteurs s) et surtout
contraction tonique des fi bres musculaires lis-
ses du col et de l’uretre (recepteurs α). Il s’agit
principalement d’une activite autonome, donc
particulierement sensible aux agents pharmacologiques
exogenes. La stimulation ou la section
des nerfs hypogastriques, issus du centre
sympathique dorso-lombaire, reproduit les
memes eff ets que la stimulation ou le blocage
adrenergique (19). Mais, dans les conditions
physiologiques, le centre medullaire n’interviendrait
que dans les phenomenes d’adaptation
au remplissage (abaissement de la pression
vesicale et surtout augmentation de la pression
uretrale) (20, 21).
Le point de depart de ce refl exe sympathique
est la stimulation des recepteurs de tension du
Fig. 7 - Contrôle réfl exe du tonus sphinctérien de l’urètre pendant la phase de remplissage : réfl exe sympathique (vert) et somatique (orange). |
detrusor ; les aff erents gagnent la moelle dorsolombaire
par les nerfs pelviens, tandis que les efferents
rejoignent la vessie et l’uretre par les nerfs
hypogastriques. Il est vraisemblablement place
sous infl uence inhibitrice supra-medullaire.
– De nombreux arguments prouvent l’existence
d’une activite tonique du sphincter strie, et
plus precisement, celle de sa portion para-uretrale
: la forte proportion de cellules de type I,
la localisation du pic de pression uretral et la
possibilite de l’ecreter de moitie par curarisation
ou neurotomie pudendale (22). Il depend
d’un refl exe medullaire organise dans le centre
somatique sacre et emprunte les nerfs pudendal
pour aff erence et eff erence.
2.1.2. La continence urinaire à l’effort
Certains eff orts, comme la toux, le rire, la marche,
le passage a l’orthostatisme, elevent brutalement
la pression abdominale et la pression intravesicale
a 100 cm d’eau ou plus, risquant de deborder
les forces de retenue decrites ci-dessus. Les mecanismes
de la continence a l’eff ort, abondamment
etudies chez la femme, reposent en grande partie
sur la constatation, lors de ces eff orts, d’un pic
de pression dans l’uretre qui, dans le meilleur des
cas, est synchrone au pic de pression dans la vessie
et de meme amplitude (fi g. 5).
L’explication de ce phenomene a donne lieu a diverses
hypotheses invoquant, chez la femme, des
mecanismes ≪ passifs ≫ (transmission des pressions
abdominales a l’uretre, ecrasement du col vesical
et de l’uretre sur un ≪hamac fi bro-musculaire sous
cervical) ou ≪ actifs ≫. Seuls ces derniers peuvent
etre retenus chez l’homme. Ils correspondent a
une contraction refl exe de la musculature perineosphincterienne
en reponse a une soudaine augmentation
de la pression abdominale.
Ce refl exe de continence (≪ guarding refl ex ≫)
est un refl exe somatique passant par le noyau
d’Onuf, dont la latence est d’environ 10 ms. Il
implique le sphincter strie de l’uretre et, surtout,
la musculature perineale.
2.2. La phase mictionnelle
La fi gure 5 montre qu’en se contractant, la vessie
se transforme en une sphere qui se retracte
concentriquement ; sa base se transforme en entonnoir
; le col vesical s’ouvre puis la totalite de
l’uretre au passage du fl ux urinaire. La pression
vesicale s’eleve a une valeur normalement comprise
entre 30 et 60 cm d’eau ; la pression uretrale
s’eff ondre en meme temps ou quelques secondes
avant la contraction vesicale.
2.2.1. Le réfl exe mictionnel
Le refl exe mictionnel correspond a l’intervention
du systeme parasympathique dont les eff ets sont
doubles :
– d’une part, la ≪mise en phase≫ de toutes les cellules
musculaires lisses du detrusor aboutissant
a une contraction puissante et organisee, qualifi
ee de ≪phasique≫ ;
– d’autre part l’inhibition refl exe des systemes
antagonistes, sympathique et somatique, avec
pour consequence l’eff ondrement du tonus
sphincterien.
Chez l’adulte, ce refl exe mictionnel a pour point
de depart une stimulation des recepteurs de tension
du detrusor. Il s’agit d’un refl exe suprasegmentaire
organise dans le tronc cerebral (fi g. 8)
(23). D’autres refl exes facilitateurs, dont l’origine
est une stimulation des recepteurs cutanes ou muqueux,
sont organises dans les centres sacres. Ces
refl exes exteroceptifs existent chez le nouveau-ne ;
leur persistance ou leur reutilisation caracterise
les etats d’hyperrefl ectivite (24). Le contact de
l’urine avec la muqueuse uretrale pourrait etre le
point de depart d’un de ces refl exes.
Le refl exe mictionnel illustre le controle reciproque
des systemes parasympathique d’une part
(qui assure la contraction vesicale), sympathique
et somatique d’autre part (qui assurent principalement
la contraction sphincterienne). Ainsi
la contraction vesicale induit une relaxation
sphincterienne, sans laquelle il existe une dyssynergie
vesico-sphincterienne. Inversement, la
contraction du sphincter strie inhibe la contraction
vesicale et le besoin d’uriner, sans laquelle il
existe une imperiosite.
Les hypertonies sphincteriennes, lisse et/ou
striee peuvent etre responsables d’une acontractilite
vesicale refl exe (25). Cette coordination
refl exe est organisee :
– au niveau des centres medullaires et dans les
plexus ganglionnaires peripheriques pour la
coordination parasympathique/sympathique ;
– au niveau des centres du tronc cerebral pour la
coordination parasympathique/somatique.
2.2.2. Le contrôle cérébral
du réfl exe mictionnel
La faculte de controler volontairement la miction
n’est pas un privilege de l’etre humain. L’animal
sauvage utilise sa miction pour marquer son territoire,
attirer ses conquetes amoureuses, refouler
ses ennemis ou annoncer ses attaques (26) ;
domestique, il acquiert une proprete ≪ sociale ≫,
plus rapidement que le nouveau-ne.
2.2.2.1. Le besoin d’uriner
La perception d’une information specifi que sur
l’etat de repletion de la vessie est un prealable a
toute continence volontaire. Chez le patient neurologique,
la perte du besoin d’uriner est la principale
cause d’incontinence, et la perception d’un
≪ equivalent ≫ est une condition pour retrouver la
continence. Le point de depart du besoin d’uri
Fig. 8 - Réfl exes mictionnels : réfl exe suprasegmentaire à partir
de la stimulation des récepteurs de tension du détrusor, et réfl exe segmentaire, à partir de la stimulation des récepteurs cutanéo-muqueux. |
ner est une stimulation des recepteurs de tension
du detrusor. L’information projetee sur le cortex
parietal, vraisemblablement par l’intermediaire de
la voie extralemniscale n’est qu’une forme particuliere
de sensibilite, percue comme une tension
douloureuse de l’epigastre ; elle doit etre reconnue,
interpretee, integree a d’autres informations pour
devenir un ≪ besoin d’uriner ≫, c’est-a-dire une
sensation comparable a la faim ou a la soif. Cette
transformation d’une information brute en une
impression subtile est donc un processus mental
qui fait intervenir l’ensemble de la corticalite.
2.2.2.2. La retenue volontaire
Le premier aspect du controle volontaire est la
possibilite de retenir un besoin par la contraction
du sphincter strie et des muscles perineaux (fi g. 5).
Elle permet de gagner quelques centimetres
d’eau et d’eviter la fuite. Mais cette situation est
precaire, car la musculature striee est fatigable
et sa contraction ne peut etre soutenue plus de
quelques secondes. La contraction volontaire du
sphincter strie induit par voie refl exe une inhibition
du detrusor, la suppression de ce refl exe
inhibiteur caracterise l’imperiosite mictionnelle.
2.2.2.3. Le déclenchement ou l’inhibition
volontaires du réfl exe mictionnel
Le controle cerebral permet de declencher ou
d’inhiber globalement le refl exe mictionnel organise
dans les centres du tronc cerebral, grace aux
connexions les reliant aux centres corticaux et
sous-corticaux. C’est ainsi qu’une miction refl exe
peut etre declenchee :
– par la volonte : c’est la miction par raison, permettant
d’uriner sur commande, meme lorsque
la vessie n’est pas pleine. Cette faculte fait de la
vessie le viscere le plus ≪corticalise ≫ et donc le
plus psychologiquement vulnerable (pollakiuries
et retentions psychogenes). Elle implique
l’intervention du centre mictionnel localise a la
face interne du lobe frontal ;
– lors des paroxysmes emotionnels (fou-rire,
orgasme, frayeur, colere…) : c’est l’urination,
miction active et incontrolable qui fait intervenir
le systeme limbique, c’est-a-dire les
structures souscorticales enroulees autour du
diencephale qui jouent un role important dans
les comportements instinctifs et emotionnels ;
– lors des stimuli sensoriels : ce sont les besoins
declenches par la vue ou l’audition de l’eau
coulante, l’exposition au froid. Ces phenomenes
≪ d’instabilite sensorielle ≫ trouvent sans
doute leur substratum anatomique dans les
connexions du lobe frontal avec les aires sensitives
et sensorielles du lobe parietal.
L’alteration de ce controle cerebral du refl exe mictionnel
represente l’un des principaux facteurs de
l’incontinence des personnes agees, allant de pair
avec l’alteration des fonctions superieures (27),
et des lesions vasculaires de type ischemique des
lobes frontaux, retrouvees au Pet-Scan (28). La
polyurie nocturne avec inversion du rythme nyctemeral
est un facteur aggravant d’insomnie et
d’incontinence.
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