vendredi 30 août 2013

Une volumineuse tuméfaction cervicale chez un adulte



Une volumineuse tuméfaction cervicale
chez un adulte

N. Nimeskern, A. Gleizal, J-L. Béziat




OBSERVATION

Un homme de 58 ans consulte en novembre 2002 pour

une volumineuse tuméfaction cervicale paramédiane droite.

Cette masse est apparue trois ans plus tôt dans la région

hyoïdienne et a augmenté progressivement de volume en

s’étendant du côté droit. Elle s’accompagne depuis peu

d’une gêne à la déglutition qui motive la consultation.

À l’examen clinique :

— Inspection : la tuméfaction se situe à droite (fig. 1),

juste sous le bord basilaire, en avant du bord antérieur du

muscle sterno-cléido-mastoïdien, à cheval sur les régions

hyoïdienne et sous-mandibulaire, à distance de la clavicule

en bas. Elle est ovalaire et mesure environ 7 centimètres

de grand axe antéro-postérieur.

— Palpation : la tuméfaction est rénitente, polylobée.

— Mobilisation : la tuméfaction est fixée aux plans profonds

mais on n’observe pas d’adhérences cutanées.

L’examen endo-buccal est normal. L’examen laryngé au

miroir montre une simple voussure de l’épiglotte soushyoïdienne

avec absence d’effraction laryngée. L’orthopantomographie

est normale. L’échographie montre une

lésion sous-mandibulaire droite polykystique mesurant 52

par 35 millimètres. Le scanner confirme ces images

(fig. 2). Il objective bien plusieurs gros kystes séparés les

uns des autres par des cloisons épaisses et accolés en

grappe. Ils occupent toute la région sous-mandibulaire

droite et présentent une extension descendant dans la

région para-médiane droite au niveau du cartilage thyroïdien

jusqu’à l’isthme thyroïdien. La lésion se prolonge

dans la région sous-glottique et présente des rapports

étroits avec l’os hyoïde. La glande thyroïde et la glande

sous-mandibulaire droite sont normales. Enfin, une cytoponction

montre un liquide de kyste sans éléments spécifiques

ni contingent tumoral.

Quels diagnostics évoquez-vous ?

Figure 1 : Aspect clinique : 3/4 face.


Figure 2 : Scanner cervical avec injection. a) coupe horizontale passant 
par le larynx ; b) coupe sagittale ; c) coupe frontale.

RÉPONSE

Devant une tuméfaction cervicale, différents diagnostics

peuvent être évoqués :

Pour les tuméfactions latérales

Un kyste des premiers ou deuxième arcs branchiaux :

l’aspect radiologique et la localisation sont compatibles

mais le diagnostic est habituellement plus précoce.

Une atteinte infectieuse ou tumorale des glandes

salivaires : l’histoire clinique ne va pas dans ce sens et la

glande sous-mandibulaire droite est normale au scanner.

Une pathologie vasculaire : phlébectasie jugulaire,

tumeur du glomus carotidien, lymphangiome kystique,

angiome, malformation artério-veineuse ont des aspects

cliniques et radiologiques différents et spécifiques.

Pour les tuméfactions médianes

Un kyste du tractus thyréoglosse : la présentation clinique

et les aspects radiologiques sont compatibles, bien que le

patient soit déjà âgé pour cette pathologie habituellement

observée chez l’enfant. Un kyste dermoïde : il siège habituellement

sur la ligne médiane du plancher buccal antérieur

et il n’a pas un aspect polykystique à l’imagerie.

La pathologie thyroïdienne : elle n’a pas non plus un

aspect polykystique et est habituellement située plus bas.

De plus, le scanner montre une thyroïde normale.

Les pathologies thymique ou parathyroïdienne sont situées

dans la région cervicale basse. Une laryngocèle externe, un

kyste bronchogénique auraient un contenu aérique.

Des pathologies ubiquitaires peuvent aussi

être évoquées

Adénopathie, lipome, hématome, kyste sébacé, kyste épidermique,

abcès ou cellulite, tumeur nerveuse : elles sont

peu probables compte tenu de la clinique et de l’imagerie.

Lequel vous paraît le plus probable ?

Devant ce tableau de tumeur liquidienne polykystique

apparue dans la région hyoïdienne, ayant des rapports

étroits avec l’os hyoïde et une extension laryngée, le diagnostic

le plus probable est celui de kyste du tractus thyréoglosse

(KTG). Une cervicotomie exploratrice s’impose

dans un but diagnostic et thérapeutique. Elle est réalisée le

27 mars 2003 sous anesthésie générale par une incision

cervicale en T inversé. La lésion est facilement clivée des tissus

environnants. Elle est très adhérente à l’os hyoïde dont

on résèque le tiers médian ainsi qu’un fin prolongement

fibreux se dirigeant vers la base de la langue sur presque

deux centimètres. L’examen anatomopathologique de la

pièce opératoire montre des follicules thyroïdiens dans les

parois des kystes confirmant le diagnostic de kyste du tractus

thyréoglosse. Les KTG sont des tumeurs bénignes développées

à partir de reliquats embryonnaires du canal

thyréoglosse, vestige de la migration de l’ébauche thyroïdienne

de la base de la langue à la région cervicale basse.

Soixante [1] à 80 % [2] des KTG surviennent durant les

deux premières décennies de la vie, mais des résidus du

canal thyréoglosse sont retrouvés chez 7 % des sujets adultes

[2]. Ils doivent donc être évoqués systématiquement

devant une masse cervicale chez l’adulte [3]. Les KGT sont

le plus souvent médians et sous-hyoïdiens. Ils peuvent

cependant se situer dans les régions sus-hyoïdiennes ou

linguales et se latéraliser lors de leur développement [3].

Les KTG entretiennent des rapports intimes avec l’os

hyoïde qu’ils peuvent traverser [3]. L’échographie et le

scanner montrent habituellement des images kystiques

hypodenses uniques ou multiples de taille variable. Des

zones solides peuvent coexister. L’IRM n’est pas nécessaire

au bilan [3]. L’examen cytologique du contenu kystique

montre habituellement un liquide pauci-cellulaire, avec un

ratio cellules inflammatoires, cellules épithéliales élevées

[4]. Le bilan doit s’assurer qu’il existe bien une glande thyroïde

normale car les KTG peuvent contenir dans leurs

parois des tissus thyroïdiens ectopiques constituant la seule

source hormonale. En cas de doute, une scintigraphie thyroïdienne

s’impose [3, 5]. L’évolution spontanée des KTG

se fait vers l’accroissement en taille, l’infection et la fistulisation

à la peau [3]. Les répercussions fonctionnelles, à type

de phénomènes compressifs sont très rares [3]. Les dégénérescences

sont évaluées à moins de 1 % chez l’adulte

[4]. Le traitement de référence reste l’intervention de

Sistrunk [1, 3]. Elle consiste à réséquer avec le KTG, le

corps de l’os hyoïde et un cône tissulaire en arrière de

l’os hyoïde sur le trajet supposé du tractus. Cette technique

apporte un taux de récidive inférieur à 10 %. Les

facteurs de récidive retrouvés sont l’exérèse simple, les

épisodes infectieux antérieurs et la rupture peropératoire

du kyste [2]. Le diagnostic n’est confirmé que par la présence

de follicules thyroïdiens pariétaux à l’examen anatomopathologique

de la pièce opératoire [2, 4].

RÉFÉRENCES

1. Lemaître A. Pathologie du plancher buccal. In: Piette E,

Reychler H, editors. Traité de pathologies buccale et maxillofaciale.

Bruxelles : De Boeck Universités, 1991:975-1009.

2. Ducic Y. Thyroglossal duct cysts in the elderly population. Am J

Otolaryngol, 2002;23:17-9.

3. Lebeau J, Raphaël B et Bettega G. Kystes et fistules congénitaux

de la face et du cou. Encycl Méd Chir (Elsevier Paris), Stomatologie,

22-037-H-10,1999,11p.

4. Yang YJ, Haghir S, Wanamaker JR, Powers CN. Diagnosis of

papillary carcinoma in a thyroglossal duct cyst by fine-needle

aspiration biopsy. Arch Pathol Lab Med, 2000;124: 139-42.

5. Lim-Dunham JE, Feinstein KA, Yousefzadeh DK, Ben-Ami T.

Sonographic demonstration of a normal thyroid gland excludes

ectopic thyroid in patients with thyroglossal duct cyst. AJR Am

J Roentgenol, 1995;164:1489-91.

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