vendredi 30 août 2013

Une tumeur gingivale atypique



Une tumeur gingivale atypique

Y. Jeblaoui*, S. Haddad, N. Ben Neji, G. Besbes


Observation

Mlle M.Z., aˆge´e de 32 ans, ope´re´e d’une tume´faction maxillomandibulaire

gauche a` l’aˆge de sept ans, a e´te´ hospitalise´e

pour exploration d’une tume´faction gingivale droite, e´voluant

depuis trois mois, sans notion d’alte´ration de l’e´tat

ge´ne´ral.

La tume´faction e´tait jugale droite oblongue, ferme, indolore,

mesurant 7 cmde grand axe et peu mobile (fig. 1a). En bouche,

une tumeur gingivale bourgeonnante occupait les secteurs

pre´molomolaires supe´rieur et infe´rieur droits (fig. 1b). Une

mauvaise hygie`ne buccale avec halitose e´tait note´e. Cette

tumeur e´tait ferme, homoge`ne, indolore, peu mobile, sessile,

de surface lisse, recouverte par une muqueuse rose´e d’aspect

normal, sans ulce´rations, ni induration pe´riphe´rique.

La patiente e´tait e´dente´e a` gauche. A`

droite, deux pre´molaires

mobiles e´taient enfouies dans la tumeur. La mastication

et l’e´locution e´taient entrave´es. Le reste de l’examen

clinique e´tait sans particularite´. Le bilan biologique montrait

une ane´mie ferriprive.


Figure 1. a Tume´faction jugale droite importante. b Aspect bourgeonnant 
polylobe´ de la tumeur gingivale


Figure 2. a Panoramique dentaire montrant la lyse de tout l’os alve´olaire. 
b Tomodensitome´trie montrant une tumeur polylobe´e, prenant le 
contraste et se de´veloppant en vestibulaire et en palatin, refoulant la 
langue du coˆte´ oppose´.

A`

la radiographie panoramique, on notait la pre´sence du coˆte´

droit d’une oste´olyse de tout l’os alve´olaire avec quelques

dents « suspendues » (fig. 2a). La tomodensitome´trie a

confirme´ la pre´sence d’une volumineuse masse tissulaire,

prenant le contraste de fac¸on he´te´roge`ne et ame´nageant

plusieurs lobes se´pare´s par des septa, se rehaussant de fac¸on

intense (fig. 2b).

L’exe´re`se chirurgicale de la le´sion a e´te´ re´alise´e sous anesthe

´sie ge´ne´rale avec extraction de toutes les dents concerne

´es. L’examen anatomopathologique a montre´ une

muqueuse gingivale reveˆtue par un e´pithe´lium malpighien

ulce´re´ et un tissu de granulation richement vascularise´,

inflammatoire, comportant essentiellement des plasmocytes,

des polynucle´aires neutrophiles et des e´osinophiles. Le

chorion pre´sentait des remaniements fibrohyalins, des foyers

he´morragiques et de larges plages de plasmocytes.

Les suites ope´ratoires ont e´te´ banales, mais la patiente a

ensuite e´te´ perdue de vue.

Quel est votre diagnostic ?

Re´ponse

Le diagnostic retenu a e´te´ celui d’une e´pulis ge´ante.


tymologiquement, l’e´pulis est une le´sion qui sie`ge a` la

surface des gencives (e´pi = dessus, oulon = gencive). C’est

une pseudotumeur be´nigne hyperplasique et circonscrite des

gencives, de nature inflammatoire et qui re´pondrait a` un

phe´nome`ne irritatif [1–3].

Les e´pulis ge´antes sont exceptionnelles dans les pays occidentaux

et ne diffe`rent des autres e´pulis que par leur

volume. Il n’existe aucune diffe´rence sur le plan anatomopathologique

entre les deux entite´s [4].

Le diagnostic est d’abord clinique, mais seul l’examen histologique

permet un diagnostic pre´cis et rassure sur l’absence

de malignite´ [1,2]. Certains carcinomes e´pidermoı ¨des peuvent

se pre´senter sous la forme d’une e´pulis « banale ».

On distingue quatre types histologiques d’e´pulis :

� inflammatoire ;

� vasculaire ;

� fibreux ;

� l’e´pulis a` cellules ge´antes ou mye´loplaxes [1,3].

Le cas de notre observation correspond a` une e´pulis inflammatoire.

Guillaume de Plaisance semble avoir fait la premie`re description

d’e´pulis ge´ante en 1279. Il de´crit « une tumeur

fongueuse plus grosse qu’un oeuf d’oie au niveau de la

gencive de la maˆchoire » [4].

Cette pathologie atteint le plus souvent des patients de sexe

fe´minin, qui consultent pour une tume´faction de la face avec

une geˆne a` l’e´locution et la mastication [4].

L’affection est toujours indolore, sans durete´ ligneuse ou

induration, ni ade´nopathies satellites [1].

Le sie`ge de cette pseudotumeur est plus souvent maxillaire

que mandibulaire et plus vestibulaire que palatin ou lingual

[4].

L’e´tiopathoge´nie reste mal connue, mais elle re´sulterait de la

re´paration imparfaite d’une le´sion gingivale. L’e´pulis ge´ante

est souvent associe´e a` une ane´mie, a` une hypere´osinophilie

d’origine parasitaire, ou a` l’impre´gnation oestroge´nique de

la grossesse et a` une mauvaise hygie`ne buccodentaire [1,3,4].

Cantaloube et al. comparent cette le´sion a` une cicatrice

che´loı¨de et pensent qu’il s’agit d’une de´viation du processus

normal de cicatrisation [4].

L’e´pulis est une tumeur a` point de de´part alve´olaire osseux,

meˆme si l’expression clinique est muqueuse. Pour cette

raison, le traitement doit prendre en compte les trois

composantes : osseuse, dentaire et muqueuse [5].

L’imagerie permet de pre´ciser l’e´tendue de la destruction

alve´olaire et d’orienter la conduite vis-a`-vis des dents adjacentes

susceptibles de pre´senter une alve´olyse importante,

ne´cessitant leur avulsion.

Le traitement de l’e´pulis est chirurgical : c’est l’ablation

de la tumeur, de son pe´dicule et de sa base d’implantation

avec un curetage soigneux de l’os alve´olaire pathologique

[1,5].

Ambroise Pare´ (1510–1590) a de´crit cette technique : « il faut

la lier et la serrer avec un fil double, jusqu’a` ce qu’elle tombe

puis en caute´riser la racine, sans quoi elle reviendrait » [4].

Les facteurs d’irritation locale paraissent de´terminants

et doivent donc eˆtre supprime´s (tartre, carie, racine

re´siduelle. . .). Une attention particulie`re doit eˆtre porte´e a`

l’hygie`ne buccodentaire [1,5].

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