Une tumeur gingivale atypique
Y. Jeblaoui*, S. Haddad, N. Ben Neji, G. Besbes
Observation
Mlle M.Z., aˆge´e de 32 ans, ope´re´e d’une tume´faction maxillomandibulaire
gauche a` l’aˆge de sept ans, a e´te´ hospitalise´e
pour exploration d’une tume´faction gingivale droite, e´voluant
depuis trois mois, sans notion d’alte´ration de l’e´tat
ge´ne´ral.
La tume´faction e´tait jugale droite oblongue, ferme, indolore,
mesurant 7 cmde grand axe et peu mobile (fig. 1a). En bouche,
une tumeur gingivale bourgeonnante occupait les secteurs
pre´molomolaires supe´rieur et infe´rieur droits (fig. 1b). Une
mauvaise hygie`ne buccale avec halitose e´tait note´e. Cette
tumeur e´tait ferme, homoge`ne, indolore, peu mobile, sessile,
de surface lisse, recouverte par une muqueuse rose´e d’aspect
normal, sans ulce´rations, ni induration pe´riphe´rique.
La patiente e´tait e´dente´e a` gauche. A`
droite, deux pre´molaires
mobiles e´taient enfouies dans la tumeur. La mastication
et l’e´locution e´taient entrave´es. Le reste de l’examen
clinique e´tait sans particularite´. Le bilan biologique montrait
une ane´mie ferriprive.
Figure 1. a Tume´faction jugale droite importante. b Aspect bourgeonnant
polylobe´ de la tumeur gingivale
Figure 2. a Panoramique dentaire montrant la lyse de tout l’os alve´olaire.
b Tomodensitome´trie montrant une tumeur polylobe´e, prenant le
contraste et se de´veloppant en vestibulaire et en palatin, refoulant la
langue du coˆte´ oppose´.
A`
la radiographie panoramique, on notait la pre´sence du coˆte´
droit d’une oste´olyse de tout l’os alve´olaire avec quelques
dents « suspendues » (fig. 2a). La tomodensitome´trie a
confirme´ la pre´sence d’une volumineuse masse tissulaire,
prenant le contraste de fac¸on he´te´roge`ne et ame´nageant
plusieurs lobes se´pare´s par des septa, se rehaussant de fac¸on
intense (fig. 2b).
L’exe´re`se chirurgicale de la le´sion a e´te´ re´alise´e sous anesthe
´sie ge´ne´rale avec extraction de toutes les dents concerne
´es. L’examen anatomopathologique a montre´ une
muqueuse gingivale reveˆtue par un e´pithe´lium malpighien
ulce´re´ et un tissu de granulation richement vascularise´,
inflammatoire, comportant essentiellement des plasmocytes,
des polynucle´aires neutrophiles et des e´osinophiles. Le
chorion pre´sentait des remaniements fibrohyalins, des foyers
he´morragiques et de larges plages de plasmocytes.
Les suites ope´ratoires ont e´te´ banales, mais la patiente a
ensuite e´te´ perdue de vue.
Quel est votre diagnostic ?
Re´ponse
Le diagnostic retenu a e´te´ celui d’une e´pulis ge´ante.
E´
tymologiquement, l’e´pulis est une le´sion qui sie`ge a` la
surface des gencives (e´pi = dessus, oulon = gencive). C’est
une pseudotumeur be´nigne hyperplasique et circonscrite des
gencives, de nature inflammatoire et qui re´pondrait a` un
phe´nome`ne irritatif [1–3].
Les e´pulis ge´antes sont exceptionnelles dans les pays occidentaux
et ne diffe`rent des autres e´pulis que par leur
volume. Il n’existe aucune diffe´rence sur le plan anatomopathologique
entre les deux entite´s [4].
Le diagnostic est d’abord clinique, mais seul l’examen histologique
permet un diagnostic pre´cis et rassure sur l’absence
de malignite´ [1,2]. Certains carcinomes e´pidermoı ¨des peuvent
se pre´senter sous la forme d’une e´pulis « banale ».
On distingue quatre types histologiques d’e´pulis :
� inflammatoire ;
� vasculaire ;
� fibreux ;
� l’e´pulis a` cellules ge´antes ou mye´loplaxes [1,3].
Le cas de notre observation correspond a` une e´pulis inflammatoire.
Guillaume de Plaisance semble avoir fait la premie`re description
d’e´pulis ge´ante en 1279. Il de´crit « une tumeur
fongueuse plus grosse qu’un oeuf d’oie au niveau de la
gencive de la maˆchoire » [4].
Cette pathologie atteint le plus souvent des patients de sexe
fe´minin, qui consultent pour une tume´faction de la face avec
une geˆne a` l’e´locution et la mastication [4].
L’affection est toujours indolore, sans durete´ ligneuse ou
induration, ni ade´nopathies satellites [1].
Le sie`ge de cette pseudotumeur est plus souvent maxillaire
que mandibulaire et plus vestibulaire que palatin ou lingual
[4].
L’e´tiopathoge´nie reste mal connue, mais elle re´sulterait de la
re´paration imparfaite d’une le´sion gingivale. L’e´pulis ge´ante
est souvent associe´e a` une ane´mie, a` une hypere´osinophilie
d’origine parasitaire, ou a` l’impre´gnation oestroge´nique de
la grossesse et a` une mauvaise hygie`ne buccodentaire [1,3,4].
Cantaloube et al. comparent cette le´sion a` une cicatrice
che´loı¨de et pensent qu’il s’agit d’une de´viation du processus
normal de cicatrisation [4].
L’e´pulis est une tumeur a` point de de´part alve´olaire osseux,
meˆme si l’expression clinique est muqueuse. Pour cette
raison, le traitement doit prendre en compte les trois
composantes : osseuse, dentaire et muqueuse [5].
L’imagerie permet de pre´ciser l’e´tendue de la destruction
alve´olaire et d’orienter la conduite vis-a`-vis des dents adjacentes
susceptibles de pre´senter une alve´olyse importante,
ne´cessitant leur avulsion.
Le traitement de l’e´pulis est chirurgical : c’est l’ablation
de la tumeur, de son pe´dicule et de sa base d’implantation
avec un curetage soigneux de l’os alve´olaire pathologique
[1,5].
Ambroise Pare´ (1510–1590) a de´crit cette technique : « il faut
la lier et la serrer avec un fil double, jusqu’a` ce qu’elle tombe
puis en caute´riser la racine, sans quoi elle reviendrait » [4].
Les facteurs d’irritation locale paraissent de´terminants
et doivent donc eˆtre supprime´s (tartre, carie, racine
re´siduelle. . .). Une attention particulie`re doit eˆtre porte´e a`
l’hygie`ne buccodentaire [1,5].
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